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plus nombreux et plus efficaces que rend tous les jours le corps honorable de la gentry.

En France, où les habitudes d’économie sont plus générales qu’en Angleterre, une moyenne de 25,000 fr. de rente n’est pas nécessaire. Pour que la propriété bourgeoise soit chez nous dans de bonnes conditions, il suffit que le possesseur jouisse de 5 à 6,000 fr. de revenu au moins. Sur ce revenu, une famille de propriétaires ruraux peut vivre convenablement dans l’état actuel de nos mœurs, et mettre de côté tous les ans pour des dépenses productives. Au-dessous commencent les embarras, à moins que l’économie ne s’accroisse en proportion. Quant à la petite propriété, comme le possesseur est en même temps cultivateur, elle prospère dans des conditions beaucoup plus humbles. Une famille de paysans peut très bien vivre d’ordinaire avec un revenu de 1,200 francs, et pourvu qu’elle ait un excédant de quelques centaines de francs, la terre ne souffre pas entre ses mains, au contraire ; nulle part elle n’est l’objet de soins plus assidus, nulle part elle ne rend avec plus d’usure les embrassemens affectueux qu’elle reçoit.

Il n’est pas nécessaire d’ailleurs, et c’est là une des principales causes de l’erreur où tombent les partisans exclusifs de la grande propriété, que le revenu du détenteur lui vienne tout entier de la terre elle-même. Une portion notable de ce revenu peut sortir de toute autre source, d’une fonction quelconque ou d’une rente mobilière chez le bourgeois, d’un salaire extérieur chez le paysan. Dans ce cas, plus la propriété rurale est petite relativement au revenu, plus elle peut recevoir l’infusion féconde du capital. Presque toujours la propriété n’est négligée que parce qu’elle est trop grande pour le revenu du possesseur. C’est ce qui arrive surtout quand celui-ci est endetté ; dans ce cas, plus la propriété est étendue, plus sa condition est mauvaise ; ce n’est plus alors qu’une fausse apparence, une illusion funeste.

Le grand fléau de la propriété, c’est la dette, non celle qui a été contractée pour faire valoir son bien et qui est presque toujours avantageuse, quoique rare, mais celle beaucoup plus commune qui porte sur le fonds lui-même, et qui laisse le propriétaire nominal sans ressources pour l’entretenir en bon état. Voilà le mal réel de la propriété française, non la division du sol proprement dite. Il se peut même que le remède à ce mal soit, dans beaucoup de cas, une plus grande division. La plupart de nos plus grands propriétaires gagneraient à posséder moins de terre et plus d’argent. En même temps, ceux qui ont au-dessous de 5 à 6,000 francs de revenu net auraient presque tous avantage à renoncer au sol, et parmi les petits, il en est un grand nombre aussi qui feraient mieux de ne plus s’acharner à