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riches relativement à l’étendue de terre qu’ils possèdent, soit parce qu’ils sont naturellement entraînés à y dépenser une plus grande partie de leurs revenus. Or il n’est pas douteux que, dans l’état actuel des choses, nos propriétaires français sont moins riches en général que les propriétaires anglais, et conséquemment moins disposés à faire des avances au sol. Les plus petits sont parmi nous ceux qui traitent le mieux la terre, et c’est une des raisons qui ont fait prendre tant de faveur à la petite propriété. En Angleterre, au contraire, si ce n’est pas précisément la très grande propriété, c’est du moins la meilleure moitié de la propriété moyenne qui peut être et qui est en effet la plus généreuse envers le sol. Les terres les mieux cultivées et les plus productives sont celles dont les possesseurs jouissent en moyenne de 1,000 livres st. de revenu. Là en effet se rencontrent habituellement à la fois et le capital, qui manque trop souvent aux propriétaires inférieurs, et le goût des améliorations agricoles, l’intelligence des intérêts ruraux, qui manquent quelquefois aux trop grands propriétaires, faute de communications suffisantes avec les champs.

Quand cet amour des intérêts ruraux se rencontre chez un très grand propriétaire, c’est la perfection. Toute l’Angleterre se souvient avec reconnaissance des immenses services que le duc de Bedford, le duc de Portland, lord Leicester, lord Spencer, lord Yarborough et plusieurs autres ont rendus à l’agriculture nationale. Dès que la volonté de faire le bien est unie à la puissance que donnent le rang le plus élevé et la plus colossale fortune, de véritables merveilles deviennent possibles. La famille de Bedford, entre autres, a doté son pays de magnifiques entreprises agricoles. Par elle, des comtés entiers ont été conquis sur les eaux de la mer, d’autres qui n’offraient que dévastes landes sont devenus riches et productifs. L’héritier de cette noble maison jouit de 100,000 livres sterling ou 2 millions et demi de revenu en biens-fonds, et il est digne, par l’usage qu’il en fait, de succéder au grand agronome, son ancêtre, dont la statue orne un des squares de Londres, appuyée sur un soc de charrue.

Il est sans doute regrettable que cet élément nous manque, et les causes qui ont détruit chez nous la très grande propriété sont plus regrettables encore que cette destruction même ; mais il faut savoir se résigner aux faits irréparables, il faut éviter surtout de se grossir la gravité du mal. Les avantages de la très grande propriété peuvent être en partie remplacés par l’action de l’état, par une bonne administration des impôts locaux, par l’esprit d’association ; c’est ce qui arrive déjà sur beaucoup de points. Même en Angleterre, où l’aristocratie a tant fait pour la gloire et la prospérité nationales, sous tous les rapports, ce n’est pas elle qui a le plus fait, et, si éclatans que soient ses services, ils ne doivent pas rendre injustes pour ceux