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l’autre les très petites, qui occupent dans les deux pays un tiers environ du sol, la moyenne serait en France, pour les deux autres tiers, égale en étendue à la moyenne anglaise. Cette égalité apparente cache une disproportion, en ce que le revenu est, à surface égale, bien plus élevé en Angleterre que chez nous ; mais, tout compte fait, la différence réelle n’est pas ce qu’on suppose. Il y a en France environ 100,000 propriétaires ruraux qui paient au-delà de 300 francs de contributions directes, et dont les fortunes sont égales en moyenne à celles de la masse des propriétaires anglais ; 50,000 d’entre eux paient 500 francs et au-dessus. Des terres de 500, 1,000, 2,000 hectares se rencontrent encore assez souvent, et les fortunes territoriales de 25 à 100,000 fr. de rente et au-delà ne sont pas tout à fait inconnues. On peut trouver environ un millier de propriétaires par département qui rivalisent, pour l’étendue de leurs domaines, avec la seconde couche des landlords anglais, celle qui est de beaucoup la plus nombreuse. Ce qui est vrai, c’est que nous en avons proportionnellement moins que nos voisins, et qu’à côté des châteaux de notre gentry fourmille l’armée des petits propriétaires, tandis que la gentry anglaise a derrière elle les immenses fiefs de l’aristocratie. Dans cette mesure, mais dans cette mesure seulement, il est exact de dire que la propriété est plus concentrée en Angleterre qu’en France.

Cette concentration est favorisée par la loi de succession, qui, à défaut de testament, fait passer les immeubles du père de famille sur la tête du fils aîné, — tandis qu’en France les immeubles se divisent également entre les enfans ; mais l’application de ces deux législations, si opposées en principe, n’a pas dans la pratique des effets aussi radicalement contraires. Le père de famille peut, dans les deux pays, changer par sa dernière volonté les dispositions de la loi, et il profite quelquefois de cette liberté ; d’autres causes plus puissantes et plus générales agissent aussi. En France, les mariages refont en partie par la dot des filles ce que la loi de succession défait ; en Angleterre, si les immeubles ne sont pas partagés, les biens meubles le sont, et dans un pays où la fortune mobilière est si considérable, cette division ne peut manquer d’exercer, par des ventes et achats, son influence sur la répartition de la propriété immobilière. Le progrès de la population, beaucoup plus rapide chez nos voisins que chez nous, est à son tour, quoi qu’on fasse, un élément de division. En fait, beaucoup de propriétés se divisent en Angleterre, et tous les jours de nouvelles résidences de campagne se construisent pour de nouveaux country-gentlemen ; en même temps, beaucoup de propriétés se recomposent en France, et on a remarqué, dans le mouvement des cotes foncières, que les grosses s’accroissaient plus vite que les petites.