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du prêtre est cachée en lui sous l’écorce rébarbative de la vieillesse et de l’austérité.

Une fleur sauvage s’épanouit dans ce lugubre manoir et dans cette morose famille : Gertrude, la fille de M. Lifford et de cette mère de douleurs qui portait dans son nom, Angustia, les pâles désolations de sa vie. Gertrude s’éleva seule : son père avait toujours été négligent et dur pour elle ; son oncle l’effarouchait ; sa mère, éteinte par la souffrance et la résignation, n’avait pu la réchauffer de sa tendresse, la couver de sa vigilance et de ses sollicitudes. Gertrude était une vivante révolte contre ce qui l’entourait. Elle avait les fermentations du sang espagnol et l’obstination inflexible des Liffords. La prison où s’étouffait sa jeunesse lui soufflait de fougueux désirs de liberté ; la solitude où bouillonnaient ses pensées allumait en elle des curiosités infinies. Pendant une maladie de son enfance, ses parens, pour unique distraction, la rapprochèrent d’une modeste famille catholique du village voisin. La maison de Mme Redmond fit un suave contraste aux tristesses de Lifford-Grange. C’était un petit cottage posé sur une corbeille de fleurs. Mme Redmond, veuve une première fois, avait eu une fille de l’âge de Gertrude, Mary Grey. Son second mari, qui la laissa veuve encore, avait eu, d’un premier mariage avec une cantatrice italienne, un fils, Maurice Redmond, pour lequel Mme Redmond fut une autre mère. Gertrude ne toucha au monde que par ses jeux d’enfant et ses longs entretiens déjeune fille avec Mary et avec Maurice, passant avec bonheur de ses insatiables lectures dans la vaste bibliothèque du château, de ses ardentes rêveries au chevet de sa mère, à la cabane verdoyante des Redmonds. Ses jeunes amis aimaient et admiraient la belle, pétulante, fantasque et bonne prisonnière de Lifford-Grange, et c’est pour la consoler d’une mutinerie charmante que Maurice lui donna un nom devenu bientôt populaire dans le pays, le nom de l’insecte aimé qu’on appelle en anglais Lady-Bird, l’oiseau de la Vierge, et en français la bête à bon Dieu, l’oiseau du bon Dieu.

Maurice avait suivi la carrière de son père, la musique. Un Français, le comte d’Arberg, séduit par son talent, l’avait entraîné avec lui dans un voyage en Italie. Les lettres que le jeune artiste écrivait à sa sœur d’adoption, et que celle-ci montrait à son amie, étaient pour l’imagination excitée de Gertrude d’intarissables poèmes. Maurice était une de ces natures incomplètement organisées, avides d’émotions, mais manquant de force, qui sont les plus faciles à se laisser éblouir par la première vue du monde qui scintille et poudroie autour d’elles. Quand il fut revenu en Angleterre, ses conversations, ses récits enflammaient davantage encore les rêves de Gertrude. « Le monde doit être une chose si belle et si émouvante ! disait-elle à Mary ; le