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Voici, du reste, comment se décompose le prix d’un journal anglais. — Avant la diminution du timbre, le prix était pour le public de 7 pence ou 70 centimes. Le timbre, fixé nominalement à 40 centimes, n’en représentait en réalité que 32 à cause de la remise de 20 pour 100 qu’accordait le trésor ; le papier, à raison de 70 shillings les mille feuilles, revenait à 8 centimes la feuille, en tout 40 centimes. Le rouleau était vendu aux courtiers 13 shillings ou 53 centimes l’exemplaire, il restait donc 13 centimes par numéro pour couvrir l’intérêt du capital engagé et toutes les dépenses du journal. La loi de 1836 abaissa le timbre de 4 pence à un, mais en supprimant toute remise. On ne tarda point à essayer d’établir des journaux à 3 pence ou trente centimes. De ces 30 centimes, si on déduit 10 centimes de timbre, 10 centimes de papier à cause de la dimension plus grande des journaux et de la rapidité du tirage, qui exige l’emploi d’un papier solide et fortement collé, enfin 8 centimes pour la remise des courtiers, on voit qu’il reste 2 centimes par numéro pour couvrir des dépenses que nous avons évaluées à 700,000 francs pour un journal établi. À un million de feuilles par an, cela ne donnerait que 20,000 francs, et nous avons vu que la plupart des journaux ne vendaient pas même un million de feuilles dans une année. Un journal est donc impossible, soit à 3 pence, soit même à 4. Au prix actuel de 5 pence, la vente d’un million d’exemplaires ne produit encore que 120,000 francs à un journal, et l’oblige à demander 600,000 francs aux annonces pour aligner les recettes et les dépenses.

Nous avions besoin d’entrer dans ce détail pour faire comprendre pourquoi dans un pays où la presse, est libre et honorée, où le besoin de s’occuper des affaires publiques est universel, où l’agitation politique est dans les mœurs, les journaux ont une clientèle très-restreinte. Un journal ne peut se donner, nous venons de le démontrer, à moins de 50 centimes le numéro. À ce prix, l’abonnement d’un an revient à 156 francs à Londres et à 170 en province : or il a été dit dans l’enquête parlementaire de 1851 qu’il n’y avait pas en Angleterre une personne sur mille en état de s’imposer une pareille dépense. C’est donc merveille que les journaux quotidiens de Londres, les seuls quotidiens de la Grande-Bretagne, soient arrivés à publier entre eux tous 60,000 numéros par jour, ce qui donne un abonné par 500 âmes sur toute la population des îles britanniques. On peut évaluer à 38,000 la part du Times, à 12,000 celle des autres feuilles du matin, et à 10,000 celle des feuilles du soir. Ces chiffres ne sont point à comparer au tirage des feuilles importantes de New-York ou de Paris. Les journaux quotidiens distribuent dans Londres les deux tiers ou même les trois quarts de leurs exemplaires. Ce fait s’explique par le nombre des établissemens publics, hôtels, restaurans, cafés, cabinets de lecture, clubs, qui sont dans l’obligation de recevoir des journaux ; mais la presque totalité de ces exemplaires part le soir pour la province. Un nombre très-considérable de personnes ne reçoit les journaux de Londres que de seconde, de troisième et même de quatrième main. Quarante-huit heures après sa publication, le Times se place encore à raison de 10 centimes le numéro. L’impossibilité de se procurer à prix réduit une feuille de Londres peut seule déterminer les gens à s’abonner aux journaux reproducteurs. Après avoir passé de main en main, et circulé de Londres à la petite ville et de celle-ci au