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territoriales sous le couvert de son drapeau. L’irrésistible entraînement de l’opinion contraignit en Angleterre le ministère même du duc de Wellington à accueillir avec faveur les ouvertures que M. le comte Molé faisait à l’Europe au nom de la monarchie nouvelle ; mais à coup sûr l’Angleterre aurait pris vis-à-vis d’un gouvernement dont M. Dupont (de l’Eure), alors collègue de M. Molé dans le cabinet, aurait représenté la pensée intime, une attitude toute différente, et personne ne peut douter qu’aux premiers coups de canon tirés sur le Rhin ou sur la Meuse, la Grande-Bretagne ne fût passée à une hostilité implacable. L’alliance anglaise, assurée d’avance à tous les pouvoirs conservateurs et pacifiques, aurait été un non-sens avec un gouvernement résolu à changer l’état territorial de l’Europe.

C’était donc une guerre de propagande entreprise contre tous les gouvernemens, sans un seul allié, qu’on prétendait imposer à une monarchie à peine assise, sans finances, sans crédit, et alors presque sans armée ; c’était à ce but qu’allaient et les divagations de l’opposition parlementaire et les manœuvres beaucoup plus habiles de l’émeute, qui, descendant chaque jour dans la rue, couverte par la tribune comme des assaillans par la tranchée, sommait un gouvernement dont elle se considérait comme la source, soit de réunir la Belgique à la France, soit d’intervenir en Italie contre l’Autriche, soit de protéger la Pologne contre trois grands états, affrontés avec une héroïque imprudence. Ce qu’on demandait en ce temps-là à une monarchie naissante, c’était ou de conquérir l’Europe, ou de disparaître devant la révolution. On la plaçait entre le suicide et la folie, et cette stupide alternative aurait été subie, si un prince ne s’était rencontré pour opposer sa pensée au désarroi de l’opinion, et s’il n’avait trouvé un ministre pour en devenir l’instrument résolu.

Il a fallu répéter à satiété ces vérités trop évidentes, il a fallu longtemps redire sur tous les tons à un pays dont on mettait une si triste persistance à fausser la conscience et la pensée, que les engagemens internationaux survivent aux gouvernemens qui les contractent, et que les révolutions honnêtes ne dispensent pas plus des traités qu’elles ne dispensent de la justice. Aujourd’hui ce soin pourrait paraître superflu. Nous avons vu, en effet, un gouvernement venu au monde pour prendre sur toutes les questions le contre-pied de celui qu’il avait renversé, et qui se donnait la mission de réhabiliter l’honneur national sacrifié, dépasser, en fait d’avances empressées et d’exigences douloureusement consenties, une mesure qui n’avait jamais été atteinte : nous avons vu la république, pour écarter le fléau de la guerre, laisser succomber, sans une seule tentative pour les secourir, toutes les insurrections suscitées par son exemple. Il y aurait donc quelque ridicule à défendre désormais la monarchie