Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1055

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de s’attaquer de préférence, pour les rendre, à des effets bizarres plus que beaux, qui étonnent l’œil, mais ne le charment point. Quelquefois ils peindront les contrastes les plus heurtés que présentent en automne les couleurs vives et tranchées des feuilles, au lieu de préférer les combinaisons harmonieuses que le même feuillage présente aussi quelquefois. Même dans des vues d’Italie ou d’Allemagne, les artistes américains transportent quelquefois une certaine crudité de ton, une certaine âpreté de couleur, une certaine dureté de lumière, reproduction trop fidèle de ce qui s’offre à eux dans leur patrie. Je signale ces erreurs, parce qu’elles dérivent d’un bon principe, et que, corrigés à propos, les défauts qu’elles enfantent peuvent devenir des qualités. Que les paysagistes américains s’attachent, comme l’ont fait avec succès plusieurs d’entre eux, à retracer les aspects de la nature et de la lumière qu’ils ont sous les yeux, — c’est là ce qui donnera de l’originalité à leurs tableaux ; mais qu’ils ne se plaisent pas à rendre ce qu’il y a de plus insolite et de plus disparate dans cette nature et cette lumière. Qu’ils peignent ce qu’ils voient, mais qu’ils choisissent parmi les objets qu’ils voudront imiter, et que dans cette imitation le sentiment de l’harmonie et de la vraisemblance ne les abandonne point.

Les Américains me paraissent avoir des illusions sur l’avenir de la peinture dans leur pays, et ne pas prendre les meilleurs moyens pour en favoriser les progrès ; ils disent souvent qu’il faut laisser leur société s’établir, et que le développement des arts viendra avec le temps : je n’en suis pas, pour ma part, entièrement convaincu. Ce n’est pas la maturité, mais la jeunesse des nations qui est favorable à l’imagination. En Europe, cette fleur de jeunesse dans laquelle s’épanouit le beau semble déjà passée, ou bien près de l’être, et les États-Unis sont nés mûrs. C’est une année qui n’a pas eu de printemps. Les riantes heures du printemps viendront-elles après les heures sévères de l’automne ? J’en doute. Il ne me paraît pas impossible que ce peuple cultive les arts avec un certain succès et à peu près comme ils sont cultivés en Europe ; mais je n’espère pas pour lui ce que je n’espère guère pour elle, — une nouvelle aurore du beau, — et pour lui encore moins que pour elle, précisément parce qu’il est à quelques égards plus avancé dans la voie d’une civilisation qui ne conduit pas au beau dans l’art. Quand le peuple américain se flatte que l’ère du développement artistique viendra, il me semble entendre un homme de trente ans qui n’a pas été amoureux à vingt dire : « Je le serai à quarante. »

Tout cela ne s’oppose pas, je le répète, à un certain développement des arts et de la peinture en particulier. Bien que les conditions de la société actuelle en Europe ne soient pas favorables à la peinture,