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l’orateur, par sa pantomime, représentait la scène qu’il décrivait : il élevait les bras pour retenir la malheureuse victime entraînée par le courant, et enfin un geste terrible a exprimé le moment où elle s’engouffrait dans l’abîme.

Il serait mal de traiter légèrement une question qui intéresse autant la moralité et la prospérité publiques ; mais n’y a-t-il pas quelque chose d’immodéré dans cette proscription absolue de toutes les liqueurs fermentées, y compris le vin, la bière et le cidre ? Peut-on mettre sur la même ligne le whisky, qui contient cinquante-quatre parties d’alcool sur cent, avec le vin de Bordeaux, qui en contient en moyenne douze, le vin de Bourgogne, qui en contient en moyenne quatorze, et la bière, qui n’en contient pas deux ? La guerre à l’eau-de-vie sous tous ses noms me paraît une bonne guerre, et il faut dire que c’est elle surtout que les sociétés de tempérance avaient à combattre en Amérique ; mais pour les autres boissons moins funestes, l’abstinence absolue que prêchent les sociétés ne pourrait-elle être remplacée par ce que leur nom semble promettre, la tempérance, mot qui signifie, ce me semble, usage modéré ? J’avoue que j’incline assez à croire que la véritable tempérance aura triomphé le jour où ceux qui boivent aujourd’hui de l’eau-de-vie et ceux qui ne se permettent de boire que de l’eau seront réunis autour d’une table sur laquelle il y aura, comme sur une table européenne, du vin et de l’eau, en tâchant toutefois de ne pas tomber dans le Niagara. On commence à faire du vin avec les vignes de l’Ohio. Si cette culture se développe, c’est peut-être à elle qu’est réservé l’honneur de porter le coup fatal à l’eau-de-vie, et de réhabiliter la cause de la vraie tempérance, c’est-à-dire de la modération.

Je rentre ce soir très en colère contre l’incurie américaine. En me promenant dans cette magnifique rue de Broadway, j’ai manqué deux ou trois fois me rompre le col ; tantôt c’étaient les matériaux d’une maison en construction entassés en désordre et près desquels on n’avait eu garde de placer un lampion ; tantôt c’étaient de grandes excavations qu’il fallait traverser sur une planche étroite et mal assise, poussé par les piétons qui franchissaient au pas de course ce pont périlleux, ou bien une trappe s’ouvrait sur mon passage le long des maisons. J’ai vu dans le journal qu’une vieille femme était tombée hier par une de ces trappes et s’était tuée. On remarquait que la police avait prévenu ces jours derniers celui qui la tenait ouverte du danger qui en pourrait résulter ; il eût mieux valu prévenir l’accident. L’autre jour, à midi, l’étage supérieur d’une maison située dans Broadway est tombé dans la rue. Le Courrier des États-Unis, journal français qui se publie à New-York, a présenté à ce sujet des observations fort sages sur la témérité des entrepreneurs en bâtimens