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M. Longfellow, moitié Américain, moitié cosmopolite ; il représente comme lui cette alliance avec l’Europe, qui est le trait toujours plus dominant des mœurs et de la littérature des États-Unis. Je l’ai trouvé dans une belle maison qui avait presque l’air d’un palais. Sa conversation est comme son style, facile et polie. D’un âge déjà avancé, m’a-t-on dit, il paraît encore jeune, et s’animait en parlant de son excursion dans la prairie, que des circonstances l’avaient obligé de terminer plus tôt qu’il n’aurait voulu. Une fois lancé, disait-il, je serais allé toujours devant moi. Ainsi, évoqué par les souvenirs du désert, se réveillait, chez l’écrivain formé par l’Europe, chez le diplomate accoutumé à nos mœurs, l’instinct aventureux de l’Américain.

Mon introducteur auprès de M. Washington Irving, M. H. Tuckerman, est lui-même un homme de talent et d’esprit. Il offre encore un exemple de cette culture européenne dont je parlais tout à l’heure. M. Tuckerman est un voyageur et un essayist  : il a raconté son tour en Italie, a écrit sur la vie des poètes anglais, les voyages, la conversation, les arts, la promenade, des essais qui rappellent un peu les délicieux vagabondages de Ch. Lamb, tout en ayant leur physionomie propre. Certes, rien n’est plus différent du mercantilisme affairé qui domine aux États-Unis, mais, grâce à Dieu, n’y est pas tout à fait universel, que cet esprit ingénieux et un peu subtil qui caresse paisiblement et gracieusement des sujets d’art, des données de l’observation ou de la fantaisie.

Ce soir, je suis allé entendre prêcher la tempérance. Ce n’était pas un sermon par un prêtre sur une vertu chrétienne, c’était un discours prononcé par un jeune homme qui a dévoué sa vie à aller de ville en ville, à travers l’Union, exhorter le public, qui se presse pour l’entendre, à l’abstention des liqueurs spiritueuses : apostolat volontaire, et je crois purement laïque. Le père Mathew, moine irlandais bien connu en Europe, quitte en ce moment l’Amérique, emportant les bénédictions de tout le monde, sans différence de sectes, et un témoignage assez considérable de la reconnaissance publique, pour avoir, par ses infatigables prédications, enrôlé, dit-on, plusieurs millions d’hommes sous la bannière de la tempérance, c’est-à-dire pour leur avoir fait prendre l’engagement solennel de renoncer à l’usage de toutes les liqueurs fermentées. Le mouvement des sociétés de tempérance a commencé en Amérique, à Boston, en l’année 1826, et cinq ans après en Angleterre. Son progrès a été immense dans les deux pays. Le gouvernement de l’Union s’y est associé en supprimant les distributions d’eau-de-vie aux soldats et en interdisant l’usage des liqueurs fortes aux marins ; mais ce qui a agi surtout comme toujours, c’est le principe volontaire. En 1836, il y avait déjà 8,000 sociétés de tempérance dans les États-Unis, comprenant environ