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facilement que toutes ses autres proies confirme cette opinion. En énumérant ce que ses forces lui permettaient de faire, le lion dit un jour - : An cha Allah, s’il plaît à Dieu, j’enlèverai, sans me gêner, le cheval. — An cha Allah, j’emporterai, quand je voudrai, la génisse, et son poids ne m’empêchera pas de courir. — Quand il en vint à la brebis, il la crut tellement au-dessous de lui, qu’il négligea cette religieuse formule : s’il plaît à Dieu ! et Dieu le condamna, pour le punir, à ne pouvoir jamais que la traîner. — Il y a plusieurs manières de chasser le lion. Quand un lion paraît dans une tribu, des signes de toute nature révèlent sa présence. D’abord ce sont des rugissemens dont la terre même semble trembler ; puis ce sont de continuels dégâts, de perpétuels accidens. Une génisse, un poulain sont enlevés, un homme même disparaît : l’alarme se répand sous toutes les tentes, les femmes tremblent pour leurs biens et pour leurs enfans ; de tous les côtés, ce sont des plaintes. Les chasseurs décrètent la mort de cet incommode voisin. On fait une publication dans les marchés pour qu’à tel jour et à telle heure cavaliers et fantassins, tous les hommes en état de chasser, soient réunis en armes à un endroit désigné. On a reconnu d’avance le fourré où le lion se retire pendant la journée ; on se met en marche, les fantassins sont en tête. Quand ils arrivent à une cinquantaine de pas du buisson où ils doivent rencontrer l’ennemi, ils s’arrêtent, ils s’attendent, se réunissent et se forment sur trois rangs de profondeur, le deuxième rang prêt à entrer dans les intervalles du premier, si un secours est nécessaire, le troisième rang bien serré, bien uni et composé d’excellens tireurs qui forment une invincible réserve. Alors commence un étrange spectacle. Le premier rang se met à injurier le lion et même à envoyer quelques balles dans sa retraite pour le décider à sortir. « Le voilà donc, celui qui se croit le plus brave ! Il n’a pas su se montrer devant des hommes ; ce n’est pas lui, ce n’est pas le lion, ce n’est qu’un lâche voleur ; que Dieu le maudisse ! » Le lion, que l’on aperçoit quelquefois pendant qu’on le traite ainsi, regarde tranquillement de tous les côtés, bâille, s’étire et semble insensible à tout ce qui se passe autour de lui. Cependant quelques balles isolées le frappent ; alors il vient, magnifique d’audace et de courage, se placer devant le buisson qui le contenait. On se tait, le lion rugit, roule des yeux flamboyans, se recule, se couche, se relève, fait craquer avec son corps et sa queue toutes les branches qui l’entourent. Le premier rang décharge ses armes ; le lion s’élance et vient tomber le plus souvent sous le feu du deuxième rang, qui est entré dans les intervalles du premier. Ce moment est critique, car le lion ne cesse la lutte que lorsqu’une balle l’a frappé à la tête ou au cœur. Il n’est pas rare de le voir continuer à combattre avec dix ou douze balles à travers le corps ; c’est dire