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pour le chasseur un indispensable compagnon. C’est par la ruse qu’on se borne parfois à combattre l’autruche à l’époque de la ponte. Des chasseurs pratiquent des trous auprès des nids, s’y blottissent, et tuent la mère au moment où elle vient visiter ses œufs. Enfin les Arabes ont recours aussi à des déguisemens qui rappellent ces travestissemens sauvages que Cooper a poétiquement décrits. Quelques-uns d’entre eux se revêtent d’une peau d’autruche et s’approchent ainsi de l’animal qu’ils veulent tuer. Des chasseurs déguisés de la sorte ont été, dit-on, plus d’une fois atteints par leurs compagnons.

« Quand une autruche, disent les Arabes, a eu une jambe brisée par un coup de feu, elle ne peut plus, comme les autres bipèdes, sauter sur une seule jambe ; cela tient à ce qu’il n’y a pas de moelle dans ses os, et que des os sans moelle ne peuvent guérir lorsqu’ils ont été fracturés. » Les Arabes affirment également que l’autruche est sourde, et que l’odorat chez elle remplace l’ouïe.

Arrivons maintenant à la chasse qui vraiment est digne d’aiguillonner des intelligences, d’embraser des âmes guerrières. Le chasseur arabe s’attaque au lion. Il a dans cette audacieuse entreprise d’autant plus de mérite, que le lion est en Afrique un être redoutable sur lequel existe nombre de mystérieuses légendes, et dont une superstitieuse épouvante protège la formidable majesté. Avec cet esprit observateur qui est le trait distinctif de tous les peuples dont la vie est incessamment mêlée à tous les phénomènes de la nature, les Arabes ont fait sur le lion une série de remarques dignes d’être recueillies et conservées.

Pendant le jour, le lion cherche rarement à attaquer l’homme ; d’ordinaire même, si quelque voyageur passe auprès de lui, il détourne la tête et fait semblant de ne pas l’apercevoir. Cependant, si quelque imprudent, côtoyant un buisson, s’écrie tout à coup : Ra hena (il est là !), le lion s’élance sur celui qui vient de troubler son repos. Avec la nuit, l’humeur du lion change complètement. Quand le soleil est couché, il est dangereux de se hasarder dans les pays boisés, accidentés, sauvages : c’est là que le lion tend ses embuscades et qu’on le rencontre sur les sentiers, qu’il coupe en les barrant de son corps. Voici, suivant les Arabes, quelques-uns des drames nocturnes qui se passent alors habituellement. Si l’homme isolé, courrier, voyageur, porteur de lettres, qui vient à rencontrer le lion a le cœur solidement trempé, il marche droit à l’animal en brandissant son sabre ou son fusil, mais en se gardant bien de tirer ou de frapper. Il se borne à crier : « O le voleur, le coupeur de routes, le fils de celle qui n’a jamais dit non ! crois-tu m’effrayer ? Tu ne sais donc pas que je suis un tel, le fils d’un tel ? Lève-toi, et laisse-moi continuer ma route. » Le lion attend que l’homme se soit approché de lui, puis il