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nous n’eûmes plus qu’une pensée, celle de franchir sans nous arrêter la distance qui nous séparait encore de la Bayonnaise. M. Burger ne cédait qu’à regret à notre impatience. Il eût voulu parcourir avec nous la résidence de Chéribon ; il eût aimé à nous faire visiter Indramayo et Samarang, à nous conduire jusqu’à Sourabaya ; il eût éprouvé, — il ne le cachait point, — un légitime orgueil à nous montrer, après les Preangers, les provinces dans lesquelles le paysan javanais doit au système de M. Van den Bosch, plus de repos à la fois et plus de bien-être ; nous ne pouvions malheureusement transiger avec les exigences impérieuses du service. Vingt jours après avoir jeté l’ancre sur la rade de Batavia, la Bayonnaise faisait voile vers le détroit de Banca pour gagner, avant la fin de la mousson de sud-est, le mouillage de Singapore.

Depuis cette époque, aucun d’entre nous n’a revu les Indes néerlandaises ; mais nos regards se sont souvent tournés vers les bords hospitaliers où l’on nous avait accueillis comme des compatriotes. Nous avons suivi les héros de Bali sur les plages de Bornéo et dans les forêts de Palembang ; nous avons applaudi à leurs nouveaux triomphes et appelé de tous nos vœux la consolidation de la domination hollandaise dans l’archipel indien. Cette domination, nous en souhaitons sincèrement le progrès, car nous espérons que les peuples de l’archipel, que les habitans de Java surtout, la trouveront constamment bienveillante et sagement progressive. Java est la perle de l’Orient ; qu’on n’oublie point que le peuple javanais est aussi le meilleur et le plus intéressant des peuples de la Malaisie. Les efforts qu’on lui a demandés ont quelquefois dépassé la mesure de ses forces. Les primes établies par M. Van den Bosch pour stimuler l’activité des employés européens et des fonctionnaires indigènes ont poussé le zèle de quelques-uns de ces agens jusqu’à la plus folle convoitise. Il faut sauver l’œuvre de l’illustre général des dangereuses conséquences de pareils excès. Le système de M. Van den Bosch n’était point seulement une machine fiscale : dans sa pensée, il devait être avant tout une école de travail pour le cultivateur indigène. Après avoir longtemps récolté le sucre et l’indigo pour le compte de l’état, le paysan javanais devra donc trouver un jour le loisir de cultiver ces denrées commerciales pour son propre compte. C’est ainsi qu’on pourra l’élever à la dignité de propriétaire et de producteur libre. Le système des cultures a déjà enrichi la métropole : il est temps de le faire servir à la grandeur coloniale de Java et au bien-être de la race malaise.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.