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cette question, et ce n’est pas au moment où l’action de l’Angleterre se consolide en Égypte que la France peut renoncer à celle qu’elle exerce depuis tant d’années à Tunis. La présence prématurément annoncée de la flotte britannique à côté de l’escadre française dans les parages de Tunis ne pourrait donc servir qu’à compliquer le différend. Le résultat fût-il, par impossible, favorable aux prétentions de la Turquie, on peut se demander quel profit elle en retirerait ? Elle est dans une crise peu propice à un mouvement d’expansion ; en reprenant le gouvernement de Tunis, elle ne ferait qu’ajouter à sa faiblesse.

Voici d’ailleurs, à l’autre extrémité de la frontière ottomane, en Europe, sur l’Adriatique, un nouvel état qui se forme sur les débris des anciennes conquêtes des Turcs, le Monténégro. En réalité, ce petit état est indépendant depuis la fin du dernier siècle ; mais cette indépendance pouvait être douteuse en droit, et plusieurs fois les Turcs n’eussent pas demandé mieux que de la contester les armes à la main, si la Montagne-Noire eût été d’un plus facile accès. Vraisemblablement le Monténégro, avec sa population de trois cent mille âmes, va entrer dans la famille des états européens. La Russie et l’Autriche paraissent d’accord pour seconder les Monténégrins dans cette évolution. Le pays était, depuis bientôt deux siècles, gouverné par un évêque schismatique qui allait chercher sa consécration épiscopale soit en Autriche, soit à Saint-Pétersbourg. Le successeur du dernier évêque, mort il y a un an, a résolu, d’accord avec la Russie, de renoncer au pouvoir théocratique qu’exerçait son oncle ; mais le pouvoir temporel qu’il conserve ne fera que gagner en importance à ce sacrifice. Le nouveau souverain, Daniel Niegosch, aura le titre de prince-régnant, comme le prince de Serbie, avec l’indépendance de plus. C’est un événement qui n’est pas sans gravité aux yeux des Slaves turcs, et qui ne manquera pas de causer de fréquentes et délicates difficultés à la domination ottomane en Bosnie.

La Grèce, de son côté, vient d’être, de la part des grandes puissances protectrices, l’objet d’un protocole de nature à exercer un salutaire effet sur son avenir, en écartant les craintes causées par la question de succession au trône. La constitution de 1844 a établi, relativement à la religion du chef de l’état, une prescription qui n’existe point dans le traité de Londres, qui confère la couronne de Grèce à la dynastie catholique de Bavière ; elle a déclaré que les successeurs du roi Othon devraient professer la foi du pays. Il y avait ainsi une sorte de désaccord entre la constitution grecque et le traité de Londres, et ce désaccord avait un côté d’autant plus délicat que le roi Othon n’a pas de postérité, et que la couronne parait destinée à revenir à l’un de ses frères. Par le nouveau protocole arrêté à Londres, les puissances, comprenant combien il importe en effet que le futur souverain des Hellènes professe la religion orientale, ont donné leur consécration officielle aux prescriptions de la constitution grecque à cet égard. Le prince Adalbert de Bavière, qui, par la renonciation du prince Luitpold, se trouve désigné implicitement comme l’héritier naturel du roi Othon, devra donc adopter le symbole grec. Le protocole ne semble pas s’être prononcé sur la question de savoir si la profession de foi du prince devra avoir lieu du jour où il sera officiellement investi des prérogatives d’héritier présomptif, ou seulement de celui où il sera appelé