Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/993

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régulier tout à l’honneur de l’activité sensée et intelligente de ce petit peuple.

En Angleterre, tout l’intérêt de la dernière quinzaine s’est concentré sur les débats du parlement. Nous n’avons point besoin de dire que ces débats portaient tous sur cette éternelle question du free trade, qui reviendra encore prochainement lors de l’exposé financier de M. Disraéli. À la proposition de M. Villiers, M. Disraéli a répondu par une contre-proposition à peu près identique, et l’une et l’autre se ressemblaient tellement que, de l’avis du Times lui-même, il était difficile à un œil exercé de saisir entre elles aucune dissemblance. Voilà l’opposition bien empêchée ; si elle donnait la préférence à M. Villiers, l’opinion publique n’allait-elle pas l’accuser de voter systématiquement contre le ministère et d’avoir plus à cœur le désir de renverser le cabinet que le maintien du free trade ? Par sa contre-proposition, M. Disraéli avait immédiatement transformé la question économique en question politique. D’autre part, abandonner la proposition de M. Villiers, cela équivalait, pour l’opposition, à se désarmer elle-même et à tirer sur ses propres troupes. Que faire donc et quel moyen terme choisir ? Ce moyen terme, lord Palmerston s’est chargé de le trouver. Continuant, au sein de la chambre des communes, la même politique qu’il avait inaugurée au Foreign-Office, lord Palmerston s’est constitué l’arbitre des partis et leur souverain juge, comme autrefois il s’était constitué juge des questions en litige dans toute l’Europe. Il a effacé la proposition de M. Villiers et en a substitué une autre de son invention, plus acceptable pour le ministère. D’un même coup, il plaçait le cabinet sous sa haute suzeraineté et enlevait aux avocats du free trade les bénéfices de cette campagne parlementaire. L’opposition n’a pas voulu se laisser battre ainsi et jouer tout-à-fait le rôle de dupe. Au moment où le ministère déclarait accepter la proposition de lord Palmerston, un des chefs les plus habiles de la coalition libre échangiste, sir James Graham, est venu proposer un amendement, lequel a été accepté et voté. De la sorte, l’opposition a sauvé son honneur. Ainsi s’est terminée cette première campagne parlementaire, qui n’a été un triomphe m pour le ministère ni pour l’opposition.

Il y a pourtant quelqu’un qui triomphe et quelqu’un qui a été battu. Le triomphateur, c’est lord Palmerston ; le battu, c’est le parti radical de Manchester. M. Cobden et ses amis ont été réellement joués par les grands seigneurs whigs et les puissans lords peelites. Le discours de sir James Graham a jeté la lumière sur les menées et les intrigues des partis. La motion de M. Villiers, cette motion si hostile au ministère, n’était pas sérieuse ; aucune h’action de la chambre ne s’y est trompée, si ce n’est le parti radical, qui en attendait les résultats que l’on peut sans peine imaginer : la reconnaissance formelle du free trade sans aucune compensation pour les classes agricoles, et la chute de ce cabinet qui lui est odieux. Or sir James Graham est venu apprendre aux communes qu’il était presque convenu que la motion de M. Villiers serait abandonnée, que lui, le très honorable baronnet, après avoir consulté lord Aberdeen, avait rédigé un projet de proposition plus modéré et plus acceptable pour le cabinet, que ce projet avait été communiqué à lord John Russell, lequel l’avait trouvé bon et avait demandé seulement quelques phrases additionnelles. Lord John Russell et sir James Graham conférant ensemble et s’accordant sur les termes d’une proposition libre échangiste !