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dans cette première parole échappée à un empereur en robe de chambre. Que peut prouver cela ? C’est que les détails de l’histoire sont souvent vulgaires ; il n’y a que ses résultats qui soient grands. Rien n’est plus simple : l’histoire dans ses accidens et dans ses faits particuliers est l’œuvre de l’homme, dans ses fins dernières elle est l’œuvre de la Providence, et ce n’est point le pied bot de M. de Talleyrand qui eût devancé cette Providence, dont le doigt avait déjà marqué l’heure terrible et solennelle de Waterloo.

C’est un des caractères de notre temps, on a pu l’observer bien des fois, d’avoir introduit la philosophie dans le domaine historique. Non-seulement la philosophie a pénétré dans l’histoire, mais elle a envahi aussi la poésie. Il s’est produit parmi nous plus d’une tentative, plus d’une œuvre où les mystères de la destinée humaine, dans ce qu’ils ont de plus obscur et de plus insondable, étaient interprétés dans la langue des vers. C’est dans cette voie que M. de Laprade a marqué ses premiers pas, et il y a porté une pensée pleine d’une noble inquiétude, une imagination rêveuse, un amour singulier de la nature, et ce culte de l’idéal qui remplit les âmes généreuses. On peut se souvenir des poèmes d’Éleusis, de Psyché : c’étaient les premiers fruits de cette inspiration qui se plaisait à interroger les traditions antiques et à écouter, comme l’auteur le dit lui-même, l’écho religieux d’Orphée. Le seul succès que ne put obtenir complètement ce remarquable écrivain, c’était de faire du genre lui-même un genre approprié à notre génie, à nos instincts intellectuels et à notre langue. Dans un récent recueil de Poèmes évangéliques, M. de Laprade embrasse aujourd’hui par la foi et par l’intelligence les grandes traditions chrétiennes, qui répondent à quelque chose de plus profond et de plus intime en nous. Chaque fragment est une scène de la vie du Christ. Le Précurseur, la Tentation, la Tempête, la Samaritaine, s’enchaînent comme les chants divers d’un même poème. L’auteur n’ajoute rien à la vérité traditionnelle, et il se trouve que cette vérité est encore une grande poésie. Ce qui distingue M. de Laprade parmi les poètes contemporains, c’est l’élévation et l’honnêteté de l’esprit, la haine des séductions grossières et une inviolable fidélité à son art. C’est à ces qualités qu’il doit une originalité attachante, quoique peu faite pour le vulgaire. Dans ce déclin de l’inspiration moderne, dans ce dénûment de toute poésie,’on sont du moins ici un souffle pur et généreux. M. de Laprade, à notre avis, a gagné évidemment à s’inspirer de cette puissante et palpitante réalité des traditions chrétiennes, et ce qui prouve mieux encore combien son talent peut trouver de ressources nouvelles dans ce contact de la réalité, ce sont quelques pièces telles que Invocation, Actions de grâces, Consécration, où les sentimens du cœur et les impressions du foyer prennent un accent vrai et émouvant. L’auteur place tout à côté les peintures religieuses et les souvenirs de sa mère : qui pourrait trouver que ce ne sont point deux pensées faites pour marcher ensemble et pour fournir à la poésie son plus fécond et son plus noble aliment ? Il y a là même, si nous ne nous trompons, un indice pour M. de Laprade comme pour bien d’autres ; ce qui nous manque trop souvent en effet, c’est l’instinct de ces honnêtes et saines réalités de la vie. N’est-ce point cet instinct dont l’absence se fait sentir dans toutes ces révolutions qui ont emporté l’Europe, et qui, après l’avoir bouleversée, la tiennent encore captive sous le poids de leur souvenir ? Il faut