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nouvelle n’étonna aucun des artistes, excepté la jeune première. Ce fut alors que la volière s’ouvrit entièrement, et que l’illusion la plus brillante s’élança dans l’espace. Tampicelli s’aperçut de l’impression fâcheuse que ce désappointement produisait dans l’esprit de sa meilleure actrice. — Ma fille, lui dit-il, ne nous laissons pas abattre pour si peu. Ancône est une grande ville ; un public trois fois plus nombreux que celui de Sinigaglia, plus riche, plus éclairé, nous attend avec impatience, car nous sommes annoncés. Fais courage, ma chère, et prends confiance en moi.

Dans la pièce qu’on répétait pour l’ouverture du théâtre d’Ancône, il y avait plusieurs rôles de femmes. Le jour de la représentation, Maria reconnut, dès l’exposition, que ses compagnes s’entendaient pour la gêner et la troubler. On l’insultait à voix basse tandis qu’elle répétait son rôle ; on lui faisait manquer ses sorties, et, dans un moment où l’ancienne Sméraldine devait lui toucher le bras, elle se sentit pincer jusqu’au sang. Lorsqu’elle voulut se plaindre, après le spectacle, on lui ferma la bouche par un torrent d’invectives si grossières, qu’elle prit la fuite pour aller pleurer dans sa chambre. — Que je suis malheureuse ! dit-elle en se jetant sur son lit. Que vais-je devenir au milieu d’ennemis acharnés après moi, qui me déchirent avec leurs ongles et qui ne craignent pas de compromettre la représentation pour satisfaire la rage que leur inspirent mes succès ? Et personne au monde pour prendre ma défense !

En ce moment, la porte s’ouvrit, et le jeune premier de la troupe se présenta, paré de sa toque et de son manteau court. — Belle Marietta, dit-il, essuie tes larmes. Non, tu n’es pas abandonnée du monde entier. Je veux être ton défenseur, ton chevalier. J’assommerai à grands coups de poing toutes ces harpies ; j’écraserai sous mes pieds les envieuses de ton admirable talent.

Et le jeune premier faisait trembler le plancher sous ses bottes de couleur café au lait.

— Ah ! j’ai donc un ami ! s’écria la jeune fille. Vous qui avez si bien joué la scène de La Peyrouse et du singe reconnaissant, vous ne me laisserez pas dévorer par ces cannibales !

— Je les traiterai comme des bêtes féroces, reprit le jeune premier d’une voix terrible ; mais, divine Marietta, quand j’aurai pour jamais écarté de ton chemin ces misérables reptiles, permets au plus tendre des amans de poser un genou en terre pour recevoir de la dame de ses pensées la récompense que la beauté doit au courage, au dévouement et à la générosité.

— Ne vous imaginez pas cela, répondit impétueusement la Marietta en sautant à bas de son lit. Si vous mettez à ce prix votre dévouement, je n’en veux point. Je m’en passerai bien. Allez porter ailleurs