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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

le départ de la compagnie comique. — Il est clair, me dit-il quand le convoi eut disparu, que l’homme tacheté de noir s’est moqué de moi. La Marietta n’a pas eul’air de me connaître.

— Les combinateurs n’en font pas d’autres, répondis-je. Vous serez en droit de briser votre jonc sur les épaules de celui-ci la première fois que vous le rencontrerez.

— Je n’aurai jamais cette satisfaction. Demain je pars pour Corfou sur mon brick. Bonjour, monsieur !

— Et moi, pour Venise, sur le pyroscaphe. Serviteur, monsieur !

IV.

Tandis que le brick américain prenait la direction de Corfou et le bateau à vapeur celle de Venise, le voiturin cheminait lentement sur le bord de la mer par trente degrés de chaleur au thermomètre de Réaumur. La Marietta portait dans sa jeune imagination toute une volière d’illusions dorées. Le bon accord de ses camarades, les cajoleries du directeur, les succès de la troupe, dont elle se croyait avec raison le plus bel ornement, lui promettaient une vie douce et heureuse. Cependant, à la première étape du voiturin, la cage aux illusions s’ouvrit, et un des gais oiseaux prit sa volée. Les femmes commencèrent à se quereller ; les hommes se dirent mille injures, comme des crocheteurs. Cette bonne harmonie, que le capo comico avait tant vantée pendant la traversée de Venise à Sinigaglia, n’existait pas même en paroles. Tampicelli voulut mettre le holà ! on ne l’écouta point. La Marietta, pensant qu’on aurait plus d’égards pour elle, essaya d’intervenir ; la fureur des mégères se tourna aussitôt contre la Tyrolienne, et on lui adjugea part entière dans les insultes et les gros mots. Quand la querelle fut apaisée, la compagnie comique causa tranquillement de son séjour à Sinigaglia. La Marietta découvrit alors que la plupart de ses associés étaient des escrocs et des sujets détestables. L’un se vantait d’avoir emporté quelques pièces du mobilier de son hôtel garni ; l’autre avait laissé des dettes chez des marchands assez fous pour lui faire crédit. Toute la troupe riait de ces équipées, et l’on voyait bien que, si ce n’eût été la crainte des tribunaux, ces artistes auraient volontiers travaillé de nuit sur les grands chemins.

En arrivant à Ancône, après deux journées pénibles, la jeune première demanda timidement au directeur s’il ne songeait pas à lui donner un peu d’argent sur les recettes de la fiera. Tampicelli répondit que ses comptes seraient achevés le lendemain. Sur une feuille de papier couverte de chiffres, ces fameux comptes furent enfin balancés par doit et avoir, et les calculs du capo comico se trouvèrent si parfaits, que la part entière de tous les chefs d’emploi se réduisait à zéro. Cette