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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je veux bien.

— Quinze billets de douze baiocs pris d’avance au bureau suffisent pour organiser un triomphe complet. C’est l’affaire d’une piastre et demie, sans compter le prix des bouquets.

— Je donne deux piastres.

— La Frezzolini et la Ristauri sont éclipsées, dit le combinateur en empochant l’argent. Surtout ne vous montrez point, excellence ; pas un mot, pas un signe ! Nous tenons beaucoup à la discrétion.

— Je ne dirai pas un mot. Allez changer d’habit…

Comme l’avait prévu le capo comico, la Marietta consentit à paraître une seconde fois dans la pièce du Roi ours. Les cabaleurs se retrouvèrent à la porte ; mais le mot d’ordre était différent. Sans se concerter avec les amis de la direction, ils portèrent aux nues ce qu’ils avaient insulté la veille. Une triple salve accueillit la jeune première à son entrée ; toutes ses tirades furent applaudies. On la redemanda entre chaque acte, et, à la fin du spectacle, elle fut rappelée vingt-quatre fois sur la scène, ni plus ni moins, selon la promesse de maître Joseph. La pluie de fleurs fut un peu maigre ; mais on se rattrapa sur les cris, les trépignemens et les fuora ! qui ne coûtaient rien. C’était un bruit à faire crouler la salle, et, quand le rideau tomba pour ne plus se relever, la Marietta, palpitante et ivre de joie, se jeta dans les bras de son directeur. Le moment eût été mal choisi pour répéter mes avertissemens sur les périls et les déboires de la vie d’artiste ; mes félicitations auraient été noyées avec tant d’autres, que je les crus inutiles. Ce fut la Marietta qui m’envoya demander le lendemain, par une fille d’auberge, pourquoi on ne me voyait pas. Je me rendis à l’invitation. La Sméraldine était descendue d’un étage. Dans une vaste chambre, assise auprès du directeur sur un canapé mangé des vers, devant un guéridon taché de graisse, l’idole du public achevait sa collation. Elle me tendit la main et me dit avec une gaieté charmante :

— Quel dommage que vous arriviez si tard ! Vous auriez entendu tout à l’heure le seigneur Tampicelli me dire des douceurs à mourir de rire. Vous ne savez pas ? je suis un soleil, une perle et un jasmin ! La fortune de la compagnie et la mienne dépendent de moi. Il faut que j’aie soin de ma personne, comme si j’étais devenue tout à coup une petite comtesse de Vienne sujette aux attaques de nerfs, ou une princesse de Milan bien pâle et bien blasée, mettant à l’épreuve la patience d’un sigisbé, d’un patito et de trois ou quatre secrétaires intimes ! Bientôt je vais vous donner des commissions, des lettres à porter, des emplettes à faire. Mais priez donc notre directeur de recommencer ses belles phrases !

Tampicelli riait du bout des lèvres, et l’ingénue ne songeait pas qu’elle s’égayait peut-être sur les préludes d’une déclaration d’amour.