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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

un auvent dont la brise agitait les festons. Déjà on y parlait de l’arrivée des artistes forains et de la première représentation, qui devait être donnée le soir même. Pendant le temps du repos, la troupe s’était installée. Les décors étaient prêts. Une grande toile peinte, ornée de figures, annonçait le titre de la pièce, et je reconnus avec plaisir que la curiosité publique était excitée. Après avoir pris le café, je me dirigeai tout doucement vers la baraque de bois. Au sommet de l’édifice, j’aperçus de loin cette inscription : Compania comica del signor Tampicelli. Plus loin, on voyait sur la grande affiche un lion et un singe qui paraissaient causer ensemble, et en m’approchant je lus enfin ce fameux titre de la pièce, auquel je ne m’attendais guère : Naufragio di La Perugia, ossia l’Isola dei Cannibali, colla scimia riconoscente ed il leone terribile, c’est-à-dire : « le Naufrage de La Peyrouse, ou l’Ile des Cannibales, avec le singe reconnaissant et le lion terrible. » Telle était cette surprise que le seigneur directeur m’avait ménagée avec tant de discrétion ! tel était le sommaire de cet ouvrage qui devait réunir avec tant d’art le pathétique à la gaieté, qui devait effacer les comédies de Goldoni, les charmantes farces napolitaines, et dont l’inspiration avait été puisée dans l’étude approfondie du théâtre de Sedaine !

Malgré l’envie de rire, à laquelle je ne résistai point, la voix de ma conscience me rappela qu’il ne fallait pas juger un ouvrage sur le titre. Sous cette annonce trop explicative, l’auteur pouvait avoir déguisé quelque pensée ingénieuse, quelque vérité philosophique, comme Charles Gozzi dans ses féeries de l’Oiseau vert et des Trois Oranges. Résolu à pousser l’expérience jusqu’au bout, je revins prendre un billet aussitôt que le bureau fut ouvert, et je m’installai sur la première banquette. En moins d’un quart d’heure, la salle se trouva pleine. On entendit le coup de sonnette du régisseur ; le petit orchestre racla l’ouverture, et le rideau se leva. Dans un vestibule nu et enfumé comme ceux de nos tragédies classiques, une espèce de marquis râpé, entouré de gens plus mal vêtus que lui, examinait une grande carte déployée sur une table. L’exposition m’apprit que c’était le roi Louis XVI donnant à sa cour une leçon de géographie, dans le château de Versailles. On introduisit le célèbre navigateur La Peyrouse. Par une antique loi des petits théâtres italiens, ce héros de la pièce était habillé à l’espagnole, en manteau court, coiffé d’une toque à plumes, ceint d’une épée plate qui finissait par un trèfle, et chaussé d’un tricot trop large si souvent porté que les genoux ressemblaient à des poches. Ce costume idéal a l’avantage de désigner à première vue le personnage dont les malheurs et les vertus doivent exciter l’intérêt du spectateur.

C’était avec des gestes d’énergumène et des cris de damné que le monarque français et l’habile navigateur réglaient ensemble l’itiné-