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produits depuis dix ans, des intentions excellentes ; mais ce qui manque à ces talens, dont plusieurs d’ailleurs sont très vrais et très fins, c’est la ferme résolution de vivre par eux-mêmes et de ne relever de personne. L’école de la restauration a dit aujourd’hui son dernier mot ; elle a fait tout ce qu’elle pouvait faire, et nos espérances ne sauraient s’élever au-dessus de nos souvenirs. La génération nouvelle en est encore aux tâtonnemens ; il n’est donc pas permis de prononcer sur elle un jugement définitif. Toutefois je regrette qu’elle n’apporte pas dans ses tentatives plus de franchise et d’indépendance. Je ne voudrais pas condamner le présent au nom du passé ; c’est un rôle que j’espère ne jamais jouer : cependant il m’est impossible de ne pas reconnaître, dans les essais qui se multiplient depuis dix ans, un ensemble de doctrines tout à la fois moins ardentes et moins élevées que les doctrines de la restauration, et même, à parler franchement, les tentatives littéraires de la génération nouvelle ne relèvent d’aucune doctrine. Il y a dans les intentions, dans les œuvres qui se produisent chaque jour, un éparpillement, une diversité qui échappent à toute classification. Cette absence de systèmes n’est pourtant pas un mauvais symptôme aux yeux de tous les hommes éclairés ; c’est tout simplement le signal d’une ère nouvelle qui n’a pas encore trouvé sa voie.

Dans la littérature dramatique, j’ai regret de le dire, aux doctrines mensongères de la restauration on n’a pas substitué une doctrine plus sincère et plus féconde. Les comédies, les tragédies et les drames que nous avons vus depuis dix ans, spirituels ou pathétiques dans plusieurs détails, ne peuvent soulever aucune discussion sérieuse. Dans la comédie, Molière est oublié ; Beaumarchais n’est pas même effleuré ; Picard seul peut être invoqué comme le parrain des hommes nouveaux, car l’étude et l’analyse des caractères sont négligées pour l’étude des mœurs, c’est-à-dire que la partie éternelle de l’art demeure complètement subordonnée à la partie locale et passagère. Insister sur ce point serait tout-à-fait hors de propos. Dans la tragédie, les plus habiles ne s’élèvent pas au-dessus de Casimir Delavigne ; dans le drame, les causes célèbres tiennent trop souvent la place de l’histoire. Et d’ailleurs, s’il faut dire toute ma pensée, la poésie dramatique telle qu’elle se pratique aujourd’hui s’est placée en dehors de la littérature. Sur dix œuvres destinées au théâtre, il y en a neuf au moins qui relèvent de l’industrie ; à peine s’en trouve-t-il une que l’art puisse revendiquer. Et en parlant ainsi, j’ai la ferme confiance de n’être pas démenti par les hommes compétens. Tous ceux qui ont étudié le théâtre depuis dix ans savent à quoi s’en tenir sur cette question.

Est-ce à dire que la génération nouvelle soit condamnée à la médiocrité ? Telle n’est pas ma pensée. Si je suis sévère pour les œuvres qu’elle a produites, si je ne crains pas d’exprimer mon opinion avec une