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fouille les archives du club des Jacobins, il n’y a plus rien à apprendre dans les écrits des réformateurs vivans. Toute la philosophie politique de la montagne se résumait en effet dans une lutte parfois ouverte, souvent cachée, mais toujours persistante, contre la triple base des sociétés humaines : la religion, la famille, la propriété. 93 marqua le terme de la plus formidable apostasie qu’ait vue le monde, et jamais l’enfer ne dut se croire si près de sa victoire que lorsqu’une majorité législative faisait à Dieu l’aumône d’un décret. Rappelons en peu de mots comment la convention traita la famille et la propriété. Dès le 20 septembre 1792, sous le coup du 10 août et à la veille de sa dissolution, l’assemblée législative avait ruiné dans sa base l’autorité paternelle en dispensant les majeurs de vingt et un ans de réclamer, pour contracter mariage, le consentement de leurs père et mère, envers lesquels ils étaient, de par la loi, affranchis de tout lien de dépendance. Les facilités octroyées pour contracter le mariage n’étaient surpassées que par les facilités données pour le dissoudre. On sait que le divorce fut voté tout d’une voix, et qu’il obtint à peine les honneurs d’une discussion. Avec une naïveté d’impudeur qui glace et confond, l’assemblée alla jusqu’à décréter l’urgence, par le motif « que plusieurs époux n’ont pas attendu que la loi eût réglé le mode et les effets du divorce, et qu’il importe de faire jouir les Français le plus tôt possible d’une faculté qui résulte de la liberté individuelle. »

La loi du 20 septembre 1792 admet, consacre et provoque le divorce sous toutes ses formes, non-seulement par consentement mutuel, mais par le fait de la volonté d’un seul des conjoints ; elle autorise à se quitter et à se reprendre, à partager à son gré ses enfans, et à compter, comme à Rome, ses années par le nombre de ses époux ; elle permet tout aux conjoints, excepté de se séparer temporairement, et, par un abominable calcul, elle leur refuse le bénéfice de la séparation de corps, afin de pousser au divorce. Telle fut la législation immonde issue de l’union des instincts anti-sociaux de la montagne avec les convoitises sensuelles de la gironde.

Lorsqu’on faisait du mariage une prostitution temporaire, il était naturel qu’on effaçât toute distinction légale entre les enfans nés dans son sein et ceux qui devaient le jour au caprice d’une liaison irrégulière. Aussi la convention décréta-t-elle, le 2 novembre 1793, que les enfans naturels seraient admis aux successions de leurs père et mère, et que leurs droits de successibilité seraient désormais les mêmes que ceux des autres enfans. « Il ne peut, s’écriait le rapporteur, y avoir deux sortes de paternité, et nul intérêt ne peut prévaloir sur les droits du sang… Ce serait faire injure à des législateurs sans préjugé que d’oser croire qu’ils fermeront l’oreille à la voix incorruptible de la nature, pour consacrer à la fois et la tyrannie de l’habitude et les erreurs