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qui n’a guère plus d’importance que la formule de politesse placée au bas d’une lettre, qui réussit bien rarement à servir ceux qu’elle essaie de louer. J’arrive à la critique sincère, la seule qui mérite d’être écoutée, et j’ajouterai la seule qui sache se faire écouter. Le nombre des écrivains qui se vouent à la critique sincère est aujourd’hui singulièrement restreint. Ceux mêmes qui, par tempérament, par un instinct de loyauté, seraient disposés à dire toute leur pensée, se résignent trop souvent et trop facilement à battre en retraite devant les clameurs des parties intéressées. L’accusation banale de méchanceté, que la plupart des poètes lancent contre eux, ébranle trop souvent leur courage. Franchise et méchanceté sont synonymes dans la pensée des poètes et de leurs amis. Parfois l’accusation d’ignorance vient se joindre à l’accusation de méchanceté ; mais en général cette seconde accusation n’est pas prodiguée : les parties intéressées en usent avec prudence, car il peut arriver que l’argument soit retourné contre elles d’une manière victorieuse, et les rieurs ne seraient pas de leur côté. Il faut donc se résigner à passer pour méchant si l’on veut se montrer sincère en toute occasion. Il demeure bien entendu que cette terrible épithète de méchant n’a de valeur qu’aux yeux des badauds, car les hommes sensés, dont la race, Dieu merci, n’est pas encore éteinte, ne prendront jamais pour un signe de méchanceté l’expression franche d’une pensée qui appelle à son aide l’histoire et la philosophie, et qui révèle au moins le goût de l’étude. La critique sincère compte parmi ses patrons l’ami de Philinte, et certes un homme doué de quelque bon sens ne songera jamais à ranger Alceste parmi les méchans. C’est un maladroit, à la bonne heure, qui ne fera jamais son chemin, je le veux bien ; mais que voulez-vous ? Il y a des esprits d’une trempe malheureuse qui aiment mieux rester fidèles à la vérité et n’arriver à rien que d’arriver en sacrifiant la vérité. Plaignez-les, si tel est votre caprice ; accablez-les de votre compassion, mais trouvez bon pourtant qu’ils persévèrent et se consolent de leur néant par le témoignage de leur conscience. Ils recueillent d’ailleurs d’amples dédommagemens ; l’approbation de quelques hommes pour qui la parole n’est pas un instrument de déception, qui respectent la franchise à l’égal du talent, n’est pas à dédaigner, et cette preuve de sympathie ne peut s’adresser qu’à la critique sincère. Il me semble donc que, pour dire toute sa pensée, rien que sa pensée, il ne faut pas tant de courage. Ceux qui trafiquent du mensonge se donnent pour habiles, ceux qui déguisent leur pensée par faiblesse se disent bien élevés : qu’il soit permis à ceux qui parlent avec franchise de se dire seuls dignes d’être écoutés. L’espérance de voir une telle prétention ratifiée par les hommes sensés rend la tâche de la critique sincère beaucoup plus facile qu’on ne croit : il n’y a pas d’héroïsme à ne pas mentir.

Mais à quoi servira la critique sincère ? Question niaise, et qu’il faut