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compter sur l’attention de tous les hommes nourris dans l’étude ou doués de bon sens. Elle ne doit pas s’inquiéter du dédain que les inventeurs professent pour elle en mainte occasion : il est si doux de donner à ses juges le nom de Zoïle pour se mettre soi-même à côté d’Homère ! Le dédain des poètes pour la critique n’est qu’une manière ingénieuse d’allumer l’encens dont ils veulent respirer le parfum. Malheureusement, parmi ceux qui analysent et apprécient les œuvres d’imagination, il y en a bien peu qui prennent leur tâche au sérieux. Si, depuis vingt ans, la poésie s’est trop souvent confondue avec l’industrie, la critique a plus d’une fois commis la même faute ; elle a pris la discussion pour une marchandise, et s’est appliquée à mériter le dédain des inventeurs. Je n’ai pas à m’occuper de cette classe de juges : ils ont pour eux-mêmes trop peu de respect pour que je perde mon temps à discuter leur mérite. Les inventeurs qui achètent leurs suffrages se riraient de moi, si je prenais la peine de caractériser de tels panégyristes. Je me contente de mentionner pour mémoire la critique industrielle.

Une partie du public encourage de ses applaudissemens la critique spirituelle ; elle veut avant tout qu’on l’amuse et ne tient compte ni de la vérité philosophique, ni de la vérité historique. Or, si je ne crois pas qu’il soit défendu à la critique de se montrer spirituelle, je crois en même temps que la critique purement spirituelle est parfaitement inutile. Il est permis sans doute d’appeler parfois l’ironie à son aide pour donner aux meilleurs argumens plus de force et de vivacité. Après avoir parlé à la raison, il n’est pas hors de propos de s’adresser à l’imagination et de la frapper par des comparaisons inattendues, de l’égayer même en lui montrant le côté ridicule d’une scène ou d’une doctrine ; mais l’esprit proprement dit ne doit jamais jouer dans la discussion qu’un rôle secondaire. Il s’agit avant tout de convaincre, et l’esprit ne suffit pas pour porter la conviction dans l’intelligence du lecteur. La critique spirituelle, qui, sous le rapport moral, ne mérite pas le dédain des inventeurs, envisagée littérairement, ne mérite pas un instant d’attention. Elle n’enseigne rien, ou si d’aventure elle enseigne quelque chose, c’est la frivolité. La littérature, pour bien des gens, n’est qu’un pur délassement ; il n’entre pas dans leur esprit qu’elle puisse devenir un sujet d’étude : à qui devons-nous cette opinion aujourd’hui trop accréditée, si ce n’est à la critique spirituelle ? Faut-il s’étonner que le public ne prenne plus la littérature au sérieux, quand il voit des écrivains habiles traiter le maniement de la parole comme un divertissement, et rien de plus ? Si quelque chose m’étonne, c’est qu’on puisse compter encore un si grand nombre d’intelligences pour qui les œuvres d’imagination ont autant d’intérêt que les œuvres d’histoire ou de philosophie.

Je ne parle pas de la critique complaisante, dont personne ne s’occupe,