Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dérober et s’est dérobée à leurs efforts. Pour pratiquer la poésie lyrique telle que la conçoit Lamartine, l’étude et le talent sont des instrumens incomplets ; il faut deux choses, qui ne relèvent pas de notre volonté : le génie qui nous vient de Dieu, le loisir qui nous vient du hasard de la naissance, car le génie aux prises avec la pauvreté se trouverait bientôt étouffé ou du moins paralysé. Comment interroger son ame à toute heure, quand le travail de chaque jour doit assurer la vie du lendemain ? Le génie et le loisir, une intelligence vive et féconde et la faculté d’attendre librement, sans inquiétude, sans souci l’éclosion de sa pensée, tels sont les deux élémens dont se compose la poésie lyrique de Lamartine. Avec ces deux élémens, construisez, si vous l’osez, un système, une doctrine, et tâchez de l’enseigner : tous vos efforts viendront échouer contre la nature même des choses. Les Méditations et les Harmonies, très dignes d’étude assurément, légitime sujet d’admiration et de sympathies pour tous ceux qui sont doués du sentiment poétique, ne pourront jamais servir à fonder une école. Ces deux recueils, sans précédens dans notre histoire littéraire, n’auront pas de frères puînés. Le poète qui les a conçus, fourvoyé maintenant au milieu de travaux qu’il n’aurait jamais dû aborder, n’a livré son secret à personne, et les esprits les plus ingénieux seront toujours inhabiles à le deviner.

Est-ce à dire que Lamartine n’ait pas exercé sur notre génération une action profonde ? Telle n’est pas ma pensée. Il est permis de blâmer la nature même de cette action, plutôt énervante que salutaire en mainte occasion ; mais il faut l’accepter comme réelle, comme générale, surtout parmi les femmes : pour elles, les Méditations et les Harmonies sont le dernier mot de la poésie. La partie éclairée de notre génération s’est initiée par la lecture des Méditations et des Harmonies à l’intelligence de Byron et de Goethe. Et qu’on ne s’étonne pas du rapprochement de ces noms, qui expriment des pensées si diverses. Sous le désespoir et parfois sous l’impiété de Byron, sous la pensée cosmopolite et païenne de Goethe, il n’est pas difficile de retrouver la mélancolie qui respire dans chaque page des Méditations et des Harmonies. Ce qui sépare Lamartine du poète anglais et du poète allemand, c’est le sentiment religieux. Toutefois, malgré ses pieuses effusions, malgré ses élans de tendresse vers la Divinité, qui rappellent parfois les extases de sainte Thérèse, il est hors de doute qu’il nous a rendu plus facile l’intelligence de Faust et de Manfred.

Béranger ne se prête guère à l’imitation plus facilement que Lamartine. Ici la forme est d’une précision, d’une pureté qui défie presque toujours le reproche ; mais pour atteindre à cette précision, à cette pureté, il faut une persévérance dont bien peu d’esprits sont capables. Pas une strophe qui porte les traces de l’improvisation. L’auteur sait