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imagination. Charles-Quint et François Ier tels qu’il nous les montre, appartiennent-ils à l’histoire* ? Est-ce que Marie Tudor et Lucrèce Borgia, telles qu’il les a mises en scène, ressemblent aux types consacrés par la tradition ? Est-ce que Louis XIII et Richelieu se reconnaîtraient dans les portraits qu’il a baptisés de leurs noms ? Est-ce que les seigneurs féodaux de la vieille Allemagne comprendraient la langue des Burgraves ? Pour ma part, je ne le crois pas. L’auteur se vante en mainte occasion d’avoir étudié l’histoire, d’avoir sondé le passé dans toute sa profondeur, de le connaître couche par couche, comme les géologues connaissent, dans certaines limites, la terre que nous habitons. Une pareille prétention ne soutient pas l’examen ; il est évident que ses études n’ont pas dépassé la partie anecdotique de l’histoire, et, quand je dis la partie anecdotique, je vais trop loin, car l’anecdote, réveillant la curiosité, mènerait directement à l’intelligence des faits généraux, et l’auteur se contente volontiers de la forme des manteaux et des bahuts. L’homme paraît l’intéresser médiocrement ; ce qu’il lui importe de connaître, ce qu’il lui importe de montrer, c’est la coupe d’un pourpoint ou le chapiteau d’une colonne. Il se croirait coupable s’il confondait un chapiteau gothique avec un chapiteau roman, et ne songe pourtant pas à étudier le siècle où se meuvent ses personnages. C’est comprendre étrangement, on en conviendra, les devoirs du poète dramatique.

Ainsi la réforme si pompeusement annoncée en 1827 n’a pas ouvert le théâtre à l’histoire, comme elle l’avait promis. En proscrivant la tragédie et la comédie comme deux moules trop étroits où la pensée ne pouvait se mouvoir, en réunissant dans le drame le rire et les larmes, elle n’a pas mis la philosophie sur la scène : que nous a-t-elle donc donné ? Rien de plus que le règne de la fantaisie. Le XVIIe siècle nous avait donné la philosophie sans l’histoire, la réforme dramatique a rayé l’histoire et la philosophie, sinon dans son programme, du moins dans ses œuvres. Est-ce là un progrès ? Si je condamne cette réforme si vantée, ce n’est pas avec une arrière-pensée de réaction, car je ne crois pas au retour du passé. C’est au nom de la raison et du goût. La fantaisie ne peut remplacer ni l’histoire ni la philosophie, et cependant la fantaisie règne seule dans les œuvres conçues selon la poétique de 1827. Nous devions revoir Shakspeare agrandi, transfiguré, et nous n’avons pas même les miettes du splendide banquet où il conviait la cour d’Elisabeth et les matelots de la Tamise. Il me semble que nous avons quelque droit de nous plaindre. Qu’est-ce en effet que la poésie dramatique sans la réalité des faits accomplis, sans l’analyse des passions qui hâtent ou ralentissent l’accomplissement de ces faits ? Un pur jeu d’enfant.

Je sais que la poésie dramatique ne s’adresse pas seulement aux