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dans la tempête. Plus tard, l’apothéose du moyen-âge tomba en désuétude ; aussi le règne de Louis-Philippe doit-il être envisagé, littérairement parlant, comme l’application indéfinie de toutes les doctrines. Je ne vois pas dans le passé une théorie acceptée comme souverainement salutaire et puissante qui n’ait trouvé sa place et son rôle dans le mouvement intellectuel de ce temps-là. À côté des drames qui prétendaient ressusciter et glorifier le moyen-âge, nous avons vu les romans qui annonçaient la société future. Un talent du premier ordre s’est chargé de cette prophétie, et j’ai trop souvent parlé de ces romans pour avoir à m’en occuper aujourd’hui.

J’aborderai successivement toutes les formes de l’imagination dans l’ordre littéraire, je les interrogerai pour savoir ce qu’elles signifient aujourd’hui, et, après avoir épuisé cette série de questions, je comparerai les œuvres aux besoins de l’esprit public. Chemin faisant, si je me trompe, rien ne sera plus facile que de signaler mes bévues, car la méthode que je me propose de suivre permet de me prendre à chaque pas en flagrant délit d’ignorance ou de présomption.

Qu’est-ce aujourd’hui que le roman ? Je ne parle pas, bien entendu, des esprits qui poursuivent leur route solitaire sans tenir compte des doctrines qui se propagent et s’appliquent autour d’eux ; je parle du roman pris dans son ensemble, c’est-à-dire d’une industrie qui peut lutter d’importance avec Sheffield, Birmingham ou Manchester. Elbeuf et Louviers, si vantés pour leurs habitudes laborieuses, sont des villes indolentes, si l’on compare leur industrie à l’industrie du roman, usine formidable dont les hauts-fourneaux sont établis à Paris. Autrefois le roman se proposait naïvement l’analyse des passions et des caractères. Il saisissait dans le mouvement de la vie ordinaire une action très simple, souvent même d’apparence insignifiante, et comptait sur l’étude du cœur pour intéresser les esprits délicats. C’était là, je puis le dire, l’âge d’or du roman. Depuis Mme de Lafayette jusqu’à Mme de Souza, nous possédons une suite de récits dont le sujet pris en lui-même ne promet certes pas merveilles, et qui cependant intéressaient notre jeunesse et charment encore notre maturité. À quelle cause faut-il rapporter la puissance de ces récits ? Est-ce à la nouveauté des incidens, à l’éclat inattendu des images, à la grandeur terrible des passions ? Mon Dieu, non. Il semble qu’on ne puisse rien rêver de plus vulgaire. Charles et Marie, Adèle de Sénanges, Eugène de Rothelin, ressemblent tellement à la vie de chaque jour, que chacun de nous pourrait se croire capable de les écrire. C’est, toute proportion gardée, l’histoire des Fables de La Fontaine. Que de lecteurs s’étonnent sérieusement de l’admiration prodiguée au bonhomme et croient pouvoir en faire autant ! Assurément je ne prétends pas donner Mme de Souza comme la limite suprême du roman. Si je rappelle son nom,