Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poétique, le spiritualisme, dans cette littérature qui en était privée depuis Ewald. Plusieurs anecdotes, qu’il raconte dans ses mémoires, récemment publiés, prouvent combien la direction des esprits était inintelligente. La censure avait refusé d’admettre sur la scène danoise une imitation du Don Juan de Molière, parce que l’apparition du fantôme scandalisait ses croyances religieuses; elle proposait de substituer ingénieusement à l’être surnaturel envoyé des enfers un ami de don Juan qui viendrait lui donner un conseil charitable. On ne jouait sur la scène danoise que les traductions des pièces froides et sans caractère de Kotzebue, traduites elles-mêmes du théâtre français du second ordre; on ne lisait que les romans larmoyans d’Auguste Lafontaine : l’art était étouffé par le métier. Œhlenschlæger rompit avec ces funestes habitudes. Aux poèmes didactiques ou descriptifs, aux imitations parasites des littératures étrangères, il substitua la poésie lyrique, c’est-à-dire le genre le plus élevé, celui qui ouvre la plus vaste carrière au génie, mais qui demande en même temps le plus d’originalité. Dans cette sphère, à peu près inconnue de ses contemporains si nous exceptons les poésies d’Ewald, il apporta une telle netteté d’esprit, une si vive imagination, que son regard ne perdit pas la terre, et que presque pas un des ressorts par lesquels les poètes ses contemporains obtenaient des effets de quelque prix ne fut par lui négligé. On s’étonna de trouver dans ses poésies, publiées vers 1805, la réunion des qualités les plus différentes, une verve inconnue jusque-là, une richesse d’imagination singulière, et en même temps une étude scrupuleuse des détails, un soin de l’expression, une harmonie enfin auxquels on n’était pas habitué. Contre le matérialisme du XVIIIe siècle, Œhlenschlæger avait évoqué l’époque sans aucun doute la plus poétique de toute l’histoire, le moyen-âge. Aucune des générations modernes ne peut rester insensible au souvenir de ces siècles de foi naïve qui ont été leur berceau; les oublier serait faire preuve d’orgueil et de sécheresse d’ame. Œhlenschlæger s’est montré supérieur à ses contemporains, lorsqu’il a écrit : « Redemandons aux premiers temps du christianisme ce qu’ils ont enfanté d’inspirations poétiques et religieuses. Le protestantisme a été trop loin en éteignant cet éclat des arts qui accompagne dignement et qui fortifie la religion. Quoi! plus de cathédrales gothiques, plus de belles églises ornées des merveilles de la peinture, plus de musique ravissante, plus de chants harmonieux! Un sombre esprit s’est emparé du protestantisme. La terre n’est-elle donc qu’une vallée de larmes, sans activité et sans joie, et faut-il n’y voir que mort et que sépulcres, que cendre et que néant? » Quiconque a voyagé dans les pays Scandinaves saura gré au poète d’avoir lui-même exprimé le sentiment de tristesse qu’inspire la vue des églises du Nord. J’ai visité les vieilles cathédrales d’Upsal et