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que tout Danois connaît aujourd’hui dès l’enfance : « Le roi Christian se tient debout auprès du grand mât, dans le tourbillon et la fumée. Il brandit son épée avec tant de force, qu’il fend casques et têtes. Les armes des Goths et les mâts de leurs navires tombent dans le tourbillon et la fumée. — Fuyons! crient les Goths. Qui de nous lutterait contre le roi Christian, »

Toutefois c’était une pente dangereuse pour l’esprit danois que cette disposition à imiter la littérature allemande avec un aveugle enthousiasme. S’il est vrai que les races du Nord accueillent volontiers la rêverie, celle qui suit la méditation leur convient, et non celle qui accompagne le mysticisme; et si le mysticisme, ce dangereux abus de l’imagination, se rencontre quelque part dans le monde scandinave, la Suède peut-être en fournirait seule des exemples : c’est une maladie particulièrement allemande; or les Danois n’ont rien d’allemand, ni dans l’esprit ni dans les veines. Ewald avait admiré Klopstock sans qu’un asservissement total étouffât son patriotisme et sa verve particulière; mais ses élèves abdiquèrent toute indépendance et tombèrent dans une affectation de sentimens et d’expressions tout-à-fait antipathique au génie de leurs compatriotes. Le Danemark eut alors, comme la Suède, toute une période d’un romantisme factice et sans aucune originalité, qui faussa les esprits et corrompit la langue danoise en y introduisant une foule de locutions et de tournures allemandes.

Un excellent esprit, le poète Wessel, entreprit de ramener le bon sens à la place de cette confusion. Wessel ne s’était asservi à aucune des deux écoles; il avait vécu libre et sans contrainte. Fort pauvre et de caractère à l’être toujours, il n’accepta ni le ténébreux lyrisme de l’école allemande ni le faux éclat des imitations classiques de la littérature française. A la tête d’un club de jeunes poètes norvégiens (la Norvège était alors unie au Danemark), il attaqua, ainsi que ses amis, le romantisme tudesque par des essais de critique, des lettres en prose, des satires en vers. Quant à la grande tragédie avec les majestueux alexandrins et les trois unités, il en fit, ainsi que du pathos des poèmes d’opéras, une parodie célèbre dans sa pièce de l’Amour sans bas (1772). Cette comédie est une bouffonnerie pleine d’invention et de gaieté, qu’on jouait fort souvent il y a quelques années encore à Copenhague; un compositeur italien avait adapté aux paroles une musique vive et spirituelle, et elle excite toujours parmi le peuple même de grands éclats de rire, sans qu’il en saisisse peut-être toutes les allusions. Toutefois la parodie, dont le but est seulement le grotesque, l’exagéré, le difforme, jamais la grâce, ni la majesté, ni la beauté idéale, — la parodie, qui met sur les lèvres, non le sourire, mais la grimace, — ne peut faire école et ne saurait rien créer; elle n’a pas même la puissance