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à la fameuse bataille d’Augsbourg, livrée en 955, où leur armée fut presque anéantie. Il s’ensuivit un traité de paix dans lequel le vainqueur imposa au vaincu, pour première condition, l’obligation de recevoir chez lui des missionnaires, de laisser construire des églises et de ne gêner en rien l’exercice du culte chrétien sur son territoire. C’était un traité qui valait bien ceux que nous faisons aujourd’hui avec les barbares du monde moderne pour leur imposer, comme premiers élémens de civilisation, nos produits industriels et nos vices. Cette convention fut acceptée par le peuple hongrois, que la défaite d’Augsbourg laissait sans moyens de résistance, et, l’affaire conclue, Othon pourvut à l’exécution. Voulant organiser, près de la frontière de Hongrie, un centre d’opérations où viendrait aboutir tout le travail de la propagande et d’où les missionnaires recevraient l’impulsion, il choisit la ville de Passau pour sa place forte, et l’évêque Pilegrin pour son général. Le pape investit à ce sujet Pilegrin de pouvoirs extraordinaires; il eut sous lui comme ses lieutenans Bruno, qui fut plus tard l’apôtre de la Russie, et l’ardent moine Wolfgang, qu’il récompensa par l’évêché de Ratisbonne. Lui-même payait courageusement de sa personne et réclamait les devoirs du soldat plus souvent que les droits du chef. Les deux objets de ce double apostolat marchèrent de front avec la même sollicitude, le christianisme se répandant au profit de la civilisation, en même temps que l’adoucissement des mœurs, l’amour de la paix, le sentiment du bien-être, devaient amener les Barbares à la religion chrétienne.

L’occasion se montra d’abord favorable. Geisa, que les Hongrois élurent pour chef suprême en 972, soldat rude, mais intelligent, ressentait pour le christianisme une secrète propension que la conversion de la reine fit éclater, et là, comme en Angleterre, comme dans la Gaule franke, « l’épouse fidèle attira à la foi l’époux infidèle. » C’était, à vrai dire, une terrible femme que cette souveraine des Hongrois qui montait à cru les chevaux les plus rétifs, buvait comme un soldat, battait de même, et ne se faisait aucun scrupule de tuer un homme; mais cette sorte de virilité féminine ne déplaisait point à ses sujets, et comme, elle était en outre d’une taille et d’un visage remarquablement beaux, on l’avait surnommée Beleknegini. qui signifiait en slavon la belle maîtresse. Telle fut la Clotilde du nouveau Clovis. L’histoire, il est vrai, a jeté quelques nuages sur sa qualité d’épouse légitime, en nous signalant deux autres femmes de Geisa vivant à la même époque : Adélaïde, sœur de Miecislas, roi de Pologne, et Sarolta, fille de Gyula, duc de Transylvanie, laquelle fut mère de saint Etienne; mais il faut songer que la polygamie florissait chez ce peuple tartare, et que la réforme des mœurs ne fut pas l’entreprise la plus prompte et la plus aisée des prédicateurs chrétiens. Quoiqu’il en soit, la belle maîtresse poussa vivement l’œuvre à laquelle elle s’était dévouée. Des églises furent construites