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accumule tout ce qu’il peut imaginer d’énergie guerrière et de passion féroce : leur violence naturelle conspire avec la furie de leur sœur à transformer cette fête joyeuse en un champ de carnage. Voici la scène par laquelle ils forcent Attila à tirer l’épée malgré lui. Ils sont à la table du roi, les trois princes du Rhin et Hagen, lorsqu’une querelle excitée par Crimhilde met aux mains dans la rue les soldats burgondes et les Huns. Attila leur présentait avec affection le petit Ortlieb, son fils, que quatre vassaux portaient autour de la table et faisaient passer de main en main parmi les convives. « — Mes amis, disait le roi aux Niebelungs, vous voyez mon bien et ma vie, mon unique enfant et celui de votre sœur. Je veux le confier à vos soins pour que vous l’emmeniez à Worms, et qu’à votre exemple il devienne un jour un homme. — Faire un homme d’un pareil avorton ! s’écria brutalement Hagen, ce n’est pas moi qui m’en chargerai, et j’espère qu’Ortlieb et moi nous ne nous rencontrerons pas souvent dans la ville de Worms. » En cet instant, un guerrier burgonde entrant dans la salle crie qu’on égorge tous leurs amis. À ces mots, le féroce Hagen se lève, tire son épée, et fait sauter la tête d’Ortlieb sur le sein de sa mère.

Alors commence entre les Huns et les Niebelungs une lutte implacable; Attila, couvert du sang de son fils, leur a déclaré guerre pour guerre. Les Burgondes, retranchés dans une salle du palais, soutiennent l’assaut des Huns; les morts succèdent aux morts, les blessés aux blessés; on se bat avec du sang jusqu’aux genoux. Au plus fort de la mêlée, Crimhilde met le feu à la salle pour brûler ses frères. Épuisés de fatigue et cernés par les flammes, ils ont soif, et l’un d’eux demande à boire : « Bois du sang! » s’écrie Hagen. Le Burgonde se baisse, entr’ouvre la poitrine d’un ennemi blessé et y trempe ses lèvres : tous font de même. Cette galerie de portraits sauvages en présente quelques-uns d’un effet grandiose, tels que ce barde Folker, dont l’archet est en même temps un glaive qui reluit tout ensanglanté sur les têtes des Huns.

Cependant, malgré le nombre des soldats d’Attila et malgré toute leur bravoure, les Burgondes conservent l’avantage. L’auteur des Niebelungs nous en dit la raison : c’est qu’ils sont chrétiens et que les Huns sont païens; il faut des chrétiens pour les vaincre. Cette gloire est réservée à Théodoric, que la violence des hommes du Rhin oblige à entrer enfin dans la lice, quoiqu’il s’y soit long-temps refusé. Son intervention termine la lutte; attaqué par Hagen, il le blesse au côté, l’étreint de ses bras de fer, le lie et le porte à Crimhilde. « Laissez-lui la vie, noble dame, dit-il à la reine; plus tard peut-être, il vous servira. » Gunther restait seul de tous les Niebelungs (Ghernot et Ghiselher étaient morts); Théodoric l’attaque à son tour, le terrasse et l’amène garrotté aux pieds de sa sœur.

La scène suivante n’est qu’une pâle copie de l’Atla-Quida, mais elle dénoue l’action d’une manière tout-à-fait inattendue. Gunther et