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l’avoir calmée: « il eut tort, ce roi prudent, dit le vieux poème scandinave; en se montrant oublieuse et gaie, Gudruna jouait un double jeu.» En effet, les plus noirs projets roulaient dans son cerveau. Elle exige enfin une dernière concession à son chagrin : qu’elle puisse offrir un repas funèbre à la mémoire de ses frères et qu’Attila y assiste avec elle, elle se montrera satisfaite. Un banquet somptueux est préparé par ses soins.... et Attila mange le cœur de ses deux fils accommodé avec du miel.

Dans le tableau de cette scène horrible que les scaldes groënlandais auteurs de l’Atla-Mâl et de l’Atla-Quida traitent tous deux avec complaisance, et dans laquelle ils accumulent tout ce que la poésie scandinave possède d’images féroces et de détails hideux, et elle est, comme on sait, très riche en ce genre, il éclate par-ci par-là quelques traits vrais et touchans. Ainsi, dans l’Atla-Mâl, Gudruna attire vers elle ses enfans par des paroles caressantes; puis, quand elle les tient, elle les attache à un billot. « Ces lionceaux, dit le poète, furent frappés de surprise, mais ils ne pleurèrent point; se collant au sein de leur mère, ils lui demandaient ce qu’elle leur voulait. — Je veux vous tuer tous deux; c’est une fantaisie que je nourris depuis long-temps. — Mère, tue tes enfans si tu veux, tu en as le droit, et personne ici ne t’en empêche; mais songe que c’est un grand crime et que tu devras t’en repentir. Tes enfans auraient grandi joyeusement, et mon frère serait devenu un guerrier. » Dans l’Atla-Quida, elle adresse ces paroles à son mari : « Tu ne les appelleras plus sur tes genoux pendant le repas, ton cher Erp et ton cher Eitill, si gais tous deux et animant encore la gaieté du festin. Tu ne les verras plus assis sur ce siège en face de toi, distribuant des cadeaux à tes hommes, ou là-bas, au milieu des guerriers, maniant la poignée des lances, caressant la crinière des chevaux et excitant par leurs cris l’ardeur des coursiers. »

« À ces mots, reprend le poète, un bruit confus s’éleva sur tous les bancs : c’était une orageuse clameur d’hommes dont les sifflemens firent trembler les voiles de la salle. Tous les yeux versaient des larmes sur la mort des fils du Hun, mais les yeux de Gudruna étaient secs. Cette femme ne connut jamais les larmes, pas plus pour ses frères au cœur d’ours que pour les doux enfans sans malice qui étaient les fruits de son sein. »

Je me hâte d’arriver au dénoûment. On ne comprend pas bien, dans les poèmes qui nous restent, comment, après une preuve si peu douteuse de son mauvais vouloir pour lui, Attila put garder encore Gudruna, et non-seulement la garder, mais l’aimer et désirer son amour. Les scaldes, il est vrai, ont soin de nous la peindre comme étant d’une beauté merveilleuse : « elle avait, dit l’auteur de l’Atla-Quida, la blancheur du cygne, et quand elle circulait autour des tables