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me rouler tout meurtri sur ma couche comme un malade que d’y rencontrer un pareil repos! » Elle aussi se trouva bientôt malheureuse. Les fumées du breuvage d’oubli, en se dissipant, lui ramenèrent l’image de Sigurd, mais elle ne ressentit plus son ancienne haine contre ses frères : elle avait pardonné.

Les chants de l’Edda nous montrent la jeune reine triste dans ce palais où le souvenir de son premier mari la poursuit jusque dans les bras du second. Elle y avait rencontré Théodoric, qui pleurait son royaume perdu; la communauté de tristesse les rapproche. D’un autre côté, Herkia, la reine Kréka de Priscus, qui ne figure ici que comme une concubine, épie Gudruna avec jalousie et remplit de soupçons le cœur de son maître. Lui cependant ne cesse de réclamer le trésor de Sigurd, que Gunther et Hagen retiennent déloyalement, quoiqu’il soit la propriété de leur sœur; mais ni prières ni menaces n’ont d’effet sur eux. Cette partie de la fable est fort obscure, et on ne sait pas comment le roi des Huns parvient à s’emparer de la reine Crimhilde, renferme dans une caverne et l’y laisse mourir de faim. Beaucoup de chants épisodiques devaient se rattacher aux chants principaux et peindre les diverses péripéties de ce mariage mal assorti; la plupart sont perdus, mais un de ceux qui nous restent fera suffisamment apprécier leur caractère général.


« GUDRUNA. — pourquoi donc, ô Attila, te montres-tu sombre et soucieux? Le sourire n’effleure plus tes lèvres : tes hommes se demandent pourquoi tu ne leur parles plus, et moi je me demande pourquoi tu me fuis?

« ATTILA. — C’est qu’Herkia m’a tout révélé, ô fille de Ghibic ! Elle m’a dit qu’elle t’avait surprise avec Théodoric, dormant sous la même couverture de lin, l’un à côté de l’autre.

« GUDRUNA. — Je suis prête à te jurer, par la pierre blanche qui repose au fond du chaudron bouillant, qu’il ne s’est rien passé entre Théodoric et moi dont le gardien le plus sévère ou un mari puisse s’offenser.

« Une seule fois, vraiment, j’ai embrassé le roi honoré, le chef des peuples; mais nos pensées n’étaient point à l’amour. Tous deux rongés de tristesse, nous nous racontions nos chagrins.

« Qui m’assistera dans ma cause? qui m’accompagnera à l’épreuve du feu? Théodoric est seul. Des trente guerriers qui le suivirent dans son exil, pas un ne lui reste! Entoure-moi de mes frères en armes, entoure-moi de toute ma famille.

« Fais venir ici Saxo, le prince des hommes du Midi, lui qui sait par quels rites il faut consacrer le chaudron d’eau bouillante. — Sept cents hommes entrèrent dans la cour avant que la royale épouse eût plongé sa main dans le chaudron.

« À ce moment, elle s’écria avec angoisse : — Gunther n’est pas ici, je ne puis invoquer Hagen; mes doux frères, je ne les vois pas! Je pense bien que l’épée d’Hagen aurait pu venger une si grande injure, mais je n’ai que moi pour me justifier de la calomnie.