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de l’abbé, et alors le bâton jouait dans sa main d’une manière terrible. On se souvient qu’une fois il mit en fuite à lui seul toute une armée de bandits, et les habitans de la Novalèse parlent encore avec admiration de l’assommoir de Walter et de ses bons coups. Près de lui vivait un jeune religieux d’une douce figure que l’on disait être son petit-fils. Tous deux ne songeaient qu’aux choses d’en haut, et leur plus chère occupation fut de se creuser dans le roc un sépulcre où ils devaient reposer l’un près de l’autre. Ils y reposèrent en effet, et le moine qui traçait ces lignes avait maintes fois manié leurs ossemens. Les habitans des environs visitaient cette tombe comme celle de deux saints, et un jour, pendant une épidémie, une dame d’un château voisin déroba la tête du plus jeune, qu’elle emporta en la cachant sous son manteau. »


On devine bien qu’il est question ici de Walter d, Aquitaine, et en effet le moine insère à ce sujet dans sa chronique un récit tout-à-fait conforme au poème que nous analysions tout à l’heure, et qui n’en est même souvent que la reproduction textuelle. Le jeune compagnon de Walter était l’enfant du fils qu’il avait eu de sa femme Hildegonde au temps de leur jeunesse. Ce fils n’était plus. La chronique se tait sur la catastrophe qui avait enlevé Hildegonde. Walter, laissé pour mort dans son combat avec Dietlieb, avait été rappelé à la vie et s’était guéri de ses blessures. Après d’autres traverses que nous ne savons pas, ayant perdu ce qui lui était cher, il était venu chercher le repos sous une règle qui pût dompter les violences de son ame; la chronique nous dit le reste.

Des scènes parfois gracieuses et riantes de la poésie du Midi, Gudruna nous transporte dans la poésie du Nord, aussi âpre et aussi sombre que son climat. La fille de Crimhilde et de Ghibic, l’inconsolable veuve de Sigurd, pleure jour et nuit la mort de son époux, et maudit ses frères Gunther et Hagen, qui l’ont assassiné. Elle repousse avec obstination le roi des Huns, qui demande sa main ; mais Crimhilde lui fait boire le breuvage d’oubli, « breuvage amer et froid, » dit le poète, et alors, le passé s’effaçant de sa mémoire, Gudruna oublie Siegfried et ses frères, et part joyeusement pour le royaume des Huns. Des guerriers franks l’accompagnent à cheval, des femmes gauloises la suivent en char. « Pendant sept jours elle gravit de fraîches montagnes, pendant sept jours elle fend l’on de sinueuse des fleuves, pendant sept jours encore elle traverse la terre sèche des campagnes ; » elle arrive de cette façon à la citadelle élevée où le roi des Huns faisait sa demeure.

La première nuit de leurs noces fut assombrie par des pressentimens et des rêves prophétiques : les Nornes (ce sont les Parques scandinaves) répandirent leurs enchantemens sur Attila. Assailli d’images de meurtre, il se réveille épouvanté et dit à sa nouvelle épouse : « Oh! j’aime mieux l’insomnie que le sommeil avec de pareils rêves; j’aime mieux