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dit : « Il y a bien assez long-temps que nous supportons l’exil, tout en sachant ce que nos pères ont voulu faire de nous. Pourquoi tarderions-nous à nous expliquer? » Hildegonde crut qu’il voulait rire; elle se tut encore un instant, puis elle lui répondit : « Et vous, pourquoi feindre en paroles ce que vous n’éprouvez pas dans le cœur? pourquoi me rappeler des choses que vous avez vous-même oubliées? Vous rougiriez assurément de reconnaître votre fiancée dans une pauvre captive. — Hildegonde, repart, vivement le jeune homme, rappelle ton bon sens. Loin de moi l’idée de me jouer de toi; je ne t’ai rien dit que la pure vérité, sans déguisement et sans nuages. Nous sommes seuls ici, et, si ta pensée répondait à la mienne, si je pouvais croire que tu m’as gardé la foi que tu me promis dans l’enfance, je t’ouvrirais ici le mystère de mon cœur. » S’inclinant alors jusqu’aux genoux du guerrier, la jeune fille s’écrie toute tremblante : « Parle, ô mon seigneur, et j’obéirai; appelle-moi, je te suivrai; ta volonté sera désormais la mienne. — Eh bien donc! dit Walter, notre exil m’ennuie; je rêve sans cesse à mon pays, et mon dessein bien arrêté est de fuir, comme Hagen, la terre des Huns; jeserais déjà parti depuis plusieurs jours sans le chagrin que je ressens de laisser Hildegonde après moi. — Que mon seigneur commande donc, repart la jeune fille; bonheur ou malheur, tout me sera doux pour son amour. »

Là-dessus, Walter, se penchant vers son oreille, lui dit tout bas :

« Toi qui as les clés du trésor royal, retiens bien ce que je te vais dire. Tu y prendras un casque du roi, une cotte de mailles et une cuirasse portant la marque de l’ouvrier; ne manque pas d’y ajouter deux coffrets que tu rempliras de bracelets et de bijoux, tant que tu en pourras porter. Prépare quatre paires de chaussures pour moi, autant pour toi, et place-les dans les coffres pour les remplir. Procure-toi aussi secrètement près des ouvriers une provision de hameçons de pêche, car poissons et oiseaux seront toute notre nourriture pendant la route. C’est moi qui serai le pêcheur et l’oiseleur aussi, si je peux. Je te donne huit jours pour achever ces préparatifs. Maintenant, comment fuirons-nous? Écoute-moi bien. Sitôt que le soleil aura sept fois accompli son tour, j’offrirai un grand festin au roi, à la reine, aux satrapes, aux ducs, aux servans; je les ferai boire tellement que pas un ne sache plus ce qu’il fait : ceci sera mon affaire. Toi, ménage-toi bien, et ne bois de vin que ce qu’il faudra pour étancher ta soif. Dès que les gens de service se lèveront, cours à ton office d’échanson; puis, quand mes convives seront tous ensevelis dans l’ivresse, nous nous dirigerons vers les contrées de l’Occident. »

La semaine s’écoule, et le jour marqué arrive. Tout est joie et magnificence dans la maison de Walter; des voiles peints décorent la salle du banquet et un trône de soie brochée d’or est préparé pour le roi. Attila paraît. Il place à ses côtés les deux plus hauts personnages, et le commun des convives va se ranger par ordre autour des tables : chaque table en reçoit cent. Les nappes de pourpre chargées d’ornemens d’or et de plats se couvrent et se découvrent par intervalles; les mets exquis succèdent aux mets, le vin épicé écume dans les larges