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romain. L’hypothèse que le crime d’Ildico n’aurait pas été un acte isolé, mais l’effet d’un complot dans lequel auraient trempé quelques officiers d’Attila, semble corroborée par les précautions mêmes que les fils du roi et les principaux chefs des Huns prennent pour expliquer sa mort. L’hymne chanté aux funérailles et destiné à donner, pour ainsi dire, la version officielle de l’événement, insiste avec une affectation visible sur le fait d’une mort naturelle arrivée au milieu des joies d’un mariage et des triomphes d’une victoire, mort qui ne réclame point de vengeance, comme si on avait besoin de rassurer une partie des vassaux des Huns sur quelque accusation mystérieuse, comme si enfin la politique avait commandé une déclaration d’oubli et de concorde, au nom de la conservation de l’empire, sur le cercueil de celui qui l’avait fondé. Les révoltes qui éclatèrent au bout de quelques mois, à l’instigation des Gépides, donneraient quelque consistance à cette supposition. Les enfans d’Attila voulaient probablement retarder l’époque d’une dissolution dont les signes s’étaient manifestés du vivant même du conquérant.

Aucun écrivain contemporain ne s’explique sur ce sujet si controversé plus tard. Dans le siècle suivant, on voit se produire collatéralement les deux versions principales avec leurs variantes. Cassiodore nous dit, dans sa chronique, que le roi des Huns fut emporté par une hémorrhagie nasale; le comte Marcellin, homme lettre et homme d’état ordinairement bien informé, le fait mourir d’un coup de couteau que lui porte une femme; il ajoute que cependant quelques-uns avaient parlé d’un vomissement de sang. Cette version d’un assassinat, que le comte Marcellin donne comme la plus accréditée, la chronique d’Alexandrie la répète. « Il dormait, dit-il, à côté d’une jeune fille des Huns quand il expira, et cette fille fut soupçonnée de sa mort. » Jornandès reproduit l’opinion de Cassiodore sur la mort naturelle; mais, en même temps il cite ce chant funèbre où l’on proclame avec satisfaction que la mort d’Attila ne demande point de vengeance. Aux VIIe, VIIIe et IXe siècles, l’autre version prévaut, et on la trouve commentée et grossie de détails qui tendent à l’expliquer. Agnellus, l’historien des pontifes de Ravenne, écrit qu’Attila périt poignardé par une misérable femme, a vilissima muliere cultro defossus. Le poète saxon de Charlemagne, qui vivait à la fin du IXe siècle, ajoute que cet assassinat fut la punition d’un crime. « C’est la main d’une femme, s’écrie-t-il, qui a précipité le roi des Huns au fond du Tartare. La nuit avancée soufflait sur tout ce qui respire une torpeur profonde, et Attila, chargé de vin, s’était endormi; mais sa cruelle épouse ne dormait pas. L’aiguillon de la haine la tint en éveil durant cette nuit terrible, et reine elle trancha les jours du roi par un odieux attentat. Pourtant ce crime n’était qu’une vengeance : elle faisait