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sa science, Sigurd se fait d’abord aimer de la valkyrie Brunehilde, qui, par une singulière confusion d’idées, toute fille d’Odin qu’elle est, se trouve sœur d’Attila; mais bientôt il la délaisse pour la belle Gudruna, fille de Ghibic et de Crimhilde, sœur des deux princes niebelungs Gunther et Hagen. Il épouse Gudruna, et la valkyrie, trompée par ses artifices, s’unit à Gunther. Brunehilde, mieux instruite, jure de se venger de Sigurd. Elle excite contre lui Gunther et Hagen par la soif de l’or : les deux beaux-frères l’attirent dans un piège, lui enfoncent un poignard à l’endroit vulnérable, et enlèvent son trésor. Toutefois la valkyrie, qui n’a point cessé de l’aimer, ne le fait tuer que pour mourir avec lui et le posséder éternellement dans le Valhalla; elle se tue elle-même et ordonne qu’on la place sur le bûcher qui doit consumer son amant. C’est cette même Gudruna, veuve de Sigurd, qu’Attila recherche en mariage et obtient, et dont la présence au milieu des Huns, par une fatalité que rien ne peut conjurer, attire sur son mari, sur ses frères et sur elle-même des catastrophes épouvantables.

Ce récit est évidemment mythologique : les Volsungs, race divine qui remonte à Odin et possède, au milieu des hommes, la richesse, la science et l’amour, ont pour dernier représentant Sigurd; le mot volsung signifie enfant de la lumière. A Sigurd sont opposés les hommes du Rhin, qui l’accueillent d’abord, puis le tuent pour avoir son trésor. Ces hommes forment la race des Niflungs (Niebelungs en teuton méridional), et ce mot veut dire enfans des ténèbres. Nous avons donc ici en présence les enfans du jour et ceux de la nuit, et nous sommes reportés par la pensée à cette lutte éternelle de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal, du savoir et de l’ignorance, qui fait le fonds des dogmes religieux de l’odinisme comme de ceux de tant d’autres cultes. Le Volsung mêlé à l’humanité est aimé de deux femmes, l’une d’origine divine, l’autre d’origine terrestre, Brunehilde et Gudruna. La seconde révèle imprudemment l’endroit par lequel on peut tuer celui qu’elle aime, et les Niebelungs se hâtent de le frapper. Alors la femme divine s’enfuit avec lui de la terre, et ils retournent ensemble au paradis d’Odin. On ne verrait pas ce que cette fable mythologique, qui peut être fort belle en soi, aurait de commun avec la tradition d’Attila, si les poètes scandinaves, confondant le roi des Huns parmi les demi-dieux de l’odinisme, ne l’avaient rendu doublement amoureux de la veuve de Sigurd et de son trésor.

Il paraît que cette invention moitié symbolique et moitié réelle, formulée d’ailleurs dans des chants d’une mâle beauté, eut un grand succès chez les races germaniques, puisqu’elle revint de la Scandinavie dans l’Allemagne méridionale avec son cadre mythique et tout son cortège de fantômes. Toutefois, dans ce retour qui eut lieu au Xe siècle et