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est celle d’Emerson. Dans une foule de petits contes, dans nombre de passages de ses romans, cette influence se remarque. Il a fait une foule d’applications de la morale d’Emerson et a traduit ses conseils aux Américains sous une forme concrète, dramatique, animée. Vous connaissez cette pensée d’Emerson qui se trouve développée dans l’essai sur la confiance en soi : que l’énergie n’est excellente que lorsqu’elle est appuyée sur l’instinct même, lorsque la volonté perverse de l’homme ne la surexcite pas et ne lui imprime pas de mouvemens fiévreux. La confiance en soi n’a tout son prix qu’autant qu’elle réunit à l’activité de l’homme la simplicité et la naïveté de l’enfant. — Soyons simples comme des enfans et dociles comme eux à la loi de notre être, dit Emerson en s’adressant aux Américains, et nous verrons se reproduire les miracles des anciens temps; nous verrons reparaître des prophètes et des saints, et notre vie s’enveloppera dans des formes et des couleurs fraîches, nouvelles, originales. Hawthorne a transporté cette idée dans un conte intitulé la Grande Figure de pierre. Sur je ne sais quel point de la Nouvelle-Angleterre s’élève un bloc de rochers disposés de telle sorte que, de loin, ils offrent aux yeux qui les contemplent l’aspect d’une gigantesque figure humaine. Une tradition prophétique, qui peint bien l’orgueil américain, et qui rappelle la légende de la tête coupée trouvée dans les fondemens du Capitole de Rome, raconte qu’il apparaîtra en Amérique un homme dont les traits seront semblables à ceux de la grande figure de pierre. Cet homme sera le plus grand personnage du monde, il dominera l’Amérique, et par lui l’Amérique dominera l’univers. Un jeune Américain, qui a entendu raconter cette tradition, cherche partout, dès son enfance, l’homme semblable à la figure de pierre; autour de lui, le peuple le cherche aussi et souvent croit l’avoir trouvé; tantôt il s’attroupe autour d’un riche marchand dont les vaisseaux sillonnent les mers et qui tient dans ses mains les sources du crédit, tantôt autour d’un général qui a remporté maintes victoires, tantôt autour d’un orateur éloquent. « Voilà l’image de la grande figure de pierre! » s’écrie le peuple, mais toujours il est déçu dans ses espérances, et le grand homme ne vient pas. Cependant le jeune enfant devient un homme naïf et dévoué; modeste et silencieux, il accomplit la tâche qui lui est imposée tour à tour par le devoir ou la nécessité; il gagne son pain, aide ses voisins, remplit de médiocres emplois, et peu à peu il se trouve qu’en avançant dans la vie il s’est acquis sans y songer une réputation immense. Les voisins, puis la ville, puis l’état, puis l’Union, tout entière, s’aperçoivent successivement qu’ils ont parmi eux un homme qui a grandi obscurément et sans bruit comme un chêne dans la solitude, simple et énergique à la fois, — et les traits de cet homme ressemblent à ceux de la grande figure de pierre. Un autre conte, la Triple Destinée, contient encore cette idée d’Emerson, que nos