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se prendre comme des mouches dans les fils d’une fine toile au centre de laquelle un gros moi se tenait tapi et les regardait. Le talent du romancier américain fait inévitablement penser à la toile de l’araignée, au filet qui surprend les poissons, au lacet qui retient l’oiseau captif, à l’insecte retenu sous le microscope du savant ou piqué dans l’herbier du naturaliste, à tous les moyens de piège. En un mot, on ne peut se défendre de lui attribuer cet égoïsme particulier à beaucoup de natures d’artiste qui ne s’effraient de rien, font leur profit de tout, et amassent sans émotion, sans haine, sans sympathie et le plus innocemment du monde leur petit trésor d’observations et d’anecdotes. Tous les artistes et les poètes qui ont eu cette faculté d’analyse froide, impartiale, lucide, indifférente, ont produit des œuvres finement travaillées, accomplies, bien composées, souvent profondes, mais où la passion est rare, quelquefois même absente. Il en est ainsi de M. Hawthorne; ses effets dramatiques et la terreur très réelle qu’ils nous causent sont également abstraits : c’est notre intelligence qui frissonne, et non pas notre être tout entier, quand nous contemplons ces drames qui semblent se passer entre deux ou trois idées dans une des cases du cerveau humain.

Il y a encore chez M. Hawthorne un point très délicat sur lequel nous n’insisterons pas, mais que nous sommes obligé de noter; ses écrits sont équivoques et de beaucoup de manières. Et d’abord il est impossible de savoir à quoi s’en tenir sur la morale générale de l’auteur: que pense-t-il? à quoi croit-il? à quelle doctrine se rattache-t-il? Si l’auteur n’a voulu que nous amuser, alors pourquoi cette profusion d’idées philosophiques? à quoi bon cette profondeur dans les détails? à quoi bon ce remarquable emploi de l’analyse? S’il veut nous instruire, pourquoi n’aperçoit-on jamais chez lui l’idée générale, le but poursuivi? Véritablement son esprit nous fait l’effet de quelque horloge très compliquée qui sonnerait les minutes et ne sonnerait pas les heures; les détails, chez lui, sont admirables; la pensée première est presque toujours imperceptible. D’autre part, ces écrits sont équivoques, parce que l’auteur aime à jouer avec une foule de choses dangereuses. Il a des prédilections pour des idées suspectes, on aperçoit même çà et là passer l’ombre d’une pensée presque coupable. Au fond, il y a dans ces écrits quelque chose de malsain qu’on ne distingue pas d’abord, mais qui, à la longue, finit par agir sur vous comme un poison très faible et très lent. Cette lecture est pénible et nous laisse dans un état d’esprit chagrin et morose où nous ne savons que penser sur une foule d’idées importantes pour l’homme et la société.

Abandonnons ce désagréable sujet. M. Hawthorne est un analyste, et il fait sa société de philosophes dont l’action est plus ou moins visible dans ses écrits. La plus considérable parmi les influences qu’il a subies