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d’argent, tenant en main une trompette qu’il approchait de sa bouche au moyen d’un ressort habilement déguisé, s’élevait au sommet de l’arbre. Un homme caché dans un trou pratiqué sous le sol soufflait dans un tube de métal correspondant à la bouche de l’ange, et de la sorte, lorsque l’un des convives demandait à boire, le sommelier criait à l’ange de donner le signal; alors on lâchait le ressort; l’ange appliquait sa trompette sur ses lèvres; l’homme soufflait dans son tuyau pour la faire sonner; on emplissait, du dehors, les tuyaux de conduite; puis le vin et les liqueurs étaient versés par les lions et les serpens dans les bassins de la fontaine, et portés de là sur les tables. Aujourd’hui nous n’avons rien à opposer à des œuvres de cette richesse et de cette proportion. Sous le rapport du service et de l’abondance, nos dîners bourgeois feraient maigre figure à côté des repas splendides et gigantesques qui avaient lieu dans les fêtes du moyen-âge. Des machines descendaient du plafond entr’ouvert et apportaient les plats ou même la table entièrement servie. On en voit un exemple dans la description du repas donné en 1453 par le duc de Bourgogne : les différens services, de quarante-quatre plats chacun, arrivèrent ainsi, portes sur des chariots peints en or et en azur.

L’archéologie est toujours attrayante quand elle embrasse, comme dans le livre de M. Corblet, non-seulement les monumens de l’architecture, de la numismatique et des arts du dessin, mais aussi les monumens qui se rapportent aux usages de la vie civile et même aux usages de la vie religieuse. Tout ce qui se rattache à cette dernière partie, à l’ameublement des églises, aux sépultures chrétiennes, à l’iconographie, présente, dans le travail du savant abbé, un véritable intérêt. Le symbolisme, que M. Corblet définit l’art d’exprimer une pensée abstraite sous une forme sensible, tient une grande place au moyen-âge dans toutes les représentations figurées. Dans la construction des églises, leur forme générale, leur orientation, tout est disposé d’après une raison mystique. Le midi, c’est le côté lumineux, et c’est là que sont placés tous les emblèmes destinés à rappeler les vertus, le bonheur éternel, les dons du Saint-Esprit, les félicités du ciel, les miracles de la nouvelle loi; le nord, c’est le côté sombre, et c’est là aussi que sont figurés tous les faits de l’ancienne loi, la chute de l’homme, le jugement dernier, les supplices des réprouvés. Le plan des églises latines figure Jésus sur la croix. Quelquefois l’axe du chœur dévie légèrement pour traduire l’inclinato capite de la passion. La nef, le chœur et le sanctuaire représentent les trois degrés de la vie spirituelle : la purification, l’illumination et l’union. Les tombeaux, comme les églises, ont leur symbolisme. La tête des morts est tournée vers l’orient, parce que c’est de ce côté que doit briller la première aurore de la résurrection. L’alpha et l’oméga sculptés sur des sarcophages, c’est Dieu le principe et la fin de toute créature. Le vase à demi brisé, c’est la chair, le vase d’argile qui laisse échapper l’ame. Les anges, pures intelligences, sont peints à mi-corps, ou sous la forme de têtes ailées, comme pour effacer en eux l’idée de la vie matérielle. Toutes ces interprétations, soigneusement recueillies par M. Corblet dans une foule de livres, ne sont point, de la part des archéologues et des érudits, un jeu d’esprit purement gratuit; elles sont formellement exprimées dans les pères et les docteurs, et se rattachent au système tout entier de la tradition dogmatique. La science de la symbolique religieuse, long-temps enfouie dans les profondeurs du moyen-âge et à peine ressuscitée d’hier, est encore bien