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C’était le moment où M. Joseph de Maistre appelait cette délibération le plus grand des scandales politiques. « Un roi, — écrivait-il de Saint-Pétersbourg à l’un de ses amis de Vienne, — un roi détrôné par une délibération, par un jugement formel de ses collègues! c’est une idée mille fois plus terrible que tout ce qu’on a jamais débité à la tribune des jacobins, car les jacobins faisaient leur métier; mais, lorsque les principes les plus sacrés sont attaqués par leurs défenseurs naturels, il faut prendre le deuil... Je serais désolé, monsieur le marquis, si l’assemblée la plus auguste, qu’on pourrait appeler un sénat de rois, venait à juger comme une loge de francs-maçons suédois. » M. de Stein, qui a bien des rapports avec Joseph de Maistre, n’éprouve pas de ces scrupules. Avant sa lutte contre le Corse (c’est ainsi qu’ils le désignent tous deux), il eût parlé comme l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg; comment penserait-il de même aujourd’hui que, pour combattre la révolution, il lui a tant de fois dérobé ses armes? Il y a en lui, selon les paroles de M. de Maistre, et le représentant d’un sénat de rois et le franc-maçon germanique. En vain retournera-t-il, par une pente toute naturelle, à ses opinions d’avant 89 : on ne l’a employé que comme un instrument de destruction; la lutte finie, il aspirerait inutilement à une autorité sérieuse. Ses hautes facultés seront devenues impuissantes par la direction même qu’il leur a donnée. Entouré d’hommages, mais suspect, il aura désormais dans les conseils de l’avenir une position équivoque. Les souverains d’abord se défieront de lui et le tiendront à l’écart; les peuples à leur tour, ceux-là même qui acclament son nom en 1815, verront plus clair au fond de sa pensée et lui retireront leur amour. Il restera seul pour voir crouler son œuvre et s’accroître les difficultés sans nombre au milieu desquelles il a jeté son pays. Telle sera la punition de ses violences.


IV.

Cette punition éclata surtout au congrès de Vienne. Les rois vainqueurs s’étaient donné rendez-vous dans la capitale de l’Autriche pour reprendre à leur manière la tâche de Napoléon et organiser l’Europe nouvelle. Les plus hautes intelligences politiques étaient réunies. On allait débattre pacifiquement, après tant et de si effroyables guerres, les intérêts des grandes puissances et l’équilibre du monde. Le baron de Stein croyait sa place marquée dans cette assemblée illustre. Ses amis, ses admirateurs lui répétaient sans cesse qu’il était l’homme indispensable; il fut appelé en effet au congrès de Vienne, mais sans caractère officiel. Depuis qu’il avait quitté la Prusse à l’appel d’Alexandre, il n’avait pas repris du service dans son pays; il ne pouvait rentrer aux affaires qu’avec le rang de premier ministre, et Frédéric-Guillaume III était trop heureux de n’avoir pas à subir cette tyrannie hautaine. Ce