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continuelles. M. de Metternich surtout, avec sa froide et spirituelle sagesse, ne négligeait aucun moyen d’arrêter l’invasion ; il voyait très nettement ce que M. de Stein, aveuglé par ses colères, était incapable de comprendre ; il voyait quelle était déjà la prépondérance de la Russie, et s’alarmait de ce protectorat superbe qui préparait de si graves embarras à l’avenir. Inutile clairvoyance ! la haine de Stein empêcha tout. À Châtillon, à Chaumont, il fit échouer les efforts de M. de Metternich et posa des conditions telles qu’il était impossible de discuter seulement sur cette base. D’ailleurs les magnifiques opérations de l’empereur dans cette immortelle campagne ne devaient-elles pas exalter sa confiance ? La guerre s’acheva, le destin s’accomplit, et le 10 avril 1814 M. de Stein écrivait à sa femme avec des cris de triomphe : « Gloire à la Providence ! gloire au tsar, son représentant, et à ses vaillans auxiliaires, les Allemands et les Russes ! nous voici à Paris depuis hier. »

Stein fit à Paris ce qu’il avait fait à Dresde et à Francfort. Administrateur presque dictatorial, il était chargé de toutes les affaires politiques et civiles. Ses pouvoirs étaient immenses. Il sentit là cependant, pour la première fois, que son action sur le tsar n’était pas sans limites. Alexandre s’appliquait à séduire, par la grâce de ses manières et l’habile générosité de ses proclamations, un grand peuple cruellement humilié, dont la vengeance pouvait encore être formidable ; Stein ne comprenait rien à ces ménagemens. Cette ardeur de représailles qu’il lui était interdit de satisfaire se donnait un libre cours dans sa correspondance intime. Les lettres qu’il écrit de Paris à Mme de Stein sont pleines d’atroces fureurs. Il ne craint pas de descendre aux plus ignobles injures contre l’empereur abattu, ne voyant pas qu’il justifie par ces violences les flétrissures imméritées que lui a tant de fois infligées le Moniteur. Il n’est guère plus content de Louis XVIII que de Napoléon ; l’humiliation de la France ne lui suffit pas, quand il voit le roi parler chez lui en maître, au lieu de condescendre à tous les désirs des vainqueurs. Ce qu’il y avait d’altier et de noble chez le baron de Stein pendant les excitations de la lutte fait place désormais à des violences indignes. L’adversité l’avait grandi ; la victoire le rabaisse au niveau de ses passions.

Lorsqu’il abandonne la France après quelques mois de séjour, ses rancunes ne sont pas moins ardentes. Il noue d’étroites relations avec Goerres, qui était alors, dans le Mercure du Rhin, le plus fougueux interprète des colères teutoniques et qui ne cessait de réclamer à grands cris l’Alsace et la Lorraine. Bientôt les affaires de Saxe deviennent la préoccupation de la diplomatie allemande et russe ; que fera-t-on du roi de Saxe, l’allié fidèle de Napoléon, vaincu comme lui et dépossédé de ses états ? L’Autriche voudrait le rétablir sur son trône ; le baron de Stein est à la tête de ceux qui demandent le châtiment du roi.