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à la placer sous un joug plus redoutable. Pour long-temps l’avenir est engagé, long-temps les passions tudesques seront exploitées par une diplomatie savante, et la Russie tiendra l’Allemagne entre ses mains. C’est l’inflexible Stein, c’est le tribun du patriotisme qui aura été l’instrument de cette politique.

Un événement moins connu que la défection du général Yorck, et qui occupe une grande place dans cette histoire, indique bien la déplorable situation de la Prusse au milieu de ces événemens terribles. Frédéric-Guillaume hésite encore ; Stein se déclarera sans attendre ses ordres et engagera son pays. Alexandre est entré dans la province de Prusse avant que Frédéric-Guillaume eût osé faire connaître sa volonté et s’allier ouvertement avec les ennemis de la France ; or, comme il y a encore des troupes françaises dans les autres parties du royaume et que les communications sont périlleuses de Kœnigsberg à Berlin, le baron de Stein est investi par le tsar de pouvoirs illimités pour l’administration de la province de Prusse. C’est lui qui veillera à l’entretien de l’armée, c’est lui qui fera rentrer les impôts, qui prendra toutes les mesures commandées par les circonstances, qui mettra sous le séquestre les biens des Français et ceux de leurs alliés, c’est lui enfin qui organisera la landsturm et la landwehr d’après les plans qu’il a conçus et fait approuver du roi en 1808. Stein exerça pendant un mois cette dictature extraordinaire ; le 7 février 1813, il quittait Kœnigsberg sur l’ordre du tsar et partait pour la Silésie. La cour de Russie s’y rendait de son côté, et quelques semaines après un traité unissait Alexandre et Frédéric-Guillaume ; la Prusse déclarait la guerre à la France. Stein était enfin arrivé à son but : la guerre de délivrance, ainsi que l’a appelée l’histoire, une guerre toute nationale, une guerre accomplie, comme une sorte de révolution, par le déchaînement des masses populaires, éclatait en Allemagne. À ce moment décisif, l’ancien ministre de Frédéric-Guillaume pouvait se dire qu’il avait tout conduit. Chassé de la Prusse une année auparavant, il y revenait en maître. Chassé sur un ordre de Napoléon pour avoir voulu substituer l’insurrection des peuples à la lutte des armées, il reparaissait en dictateur, et commençait à exécuter, sans attendre même le consentement de son roi, les audacieuses mesures dont la conception seule avait causé ses disgrâces. Malgré des obstacles sans nombre, il avait communiqué son ardeur au tsar ; il allait imposer sa pensée à Frédéric-Guillaume. Ceux qui le combattaient naguère tremblent maintenant devant lui ; il est tout-puissant, il est l’objet de l’acclamation universelle : que lui font les dangers de l’avenir, pourvu que sa passion triomphe ? C’est l’heure où Fichte prononce avec plus d’enthousiasme que jamais ses Discours à la nation allemande ; c’est l’heure où Théodore Kœrner entonne le sombre chant de la Chasse de Lutzow ; dans