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par vingt, mais par mille et par centaines de mille. L’association était formidable ; elle couvrait la Prusse, et de la Prusse étendait ses réseaux sur l’Allemagne entière. Le conseil général siégeait à Kœnigsberg ; des conseils provinciaux, des chambres de district, des assemblées locales formaient une vaste machine dont tous les rouages étaient mus par une pensée unique. Le but constant des chefs était de restaurer la force et la moralité allemandes. Malgré toutes les précautions possibles, une telle association ne pouvait échapper long-temps à l’œil vigilant de l’administration impériale. Créé en 1808, le Tugendbund fut dissous en 1810 sur l’ordre exprès de l’empereur. Qu’importait cependant cette dissolution? Un ordre suffisait-il pour disperser ces forces populaires ? On pouvait bien déchirer les statuts, on n’était pas maître d’arrêter le travail des masses. La persécution ne fit que rendre ce travail plus secret, c’est-à-dire plus redoutable. C’est à dater de ce jour que le Tugendbund pénètre dans les profondeurs souterraines, et que le mouvement à demi national, à demi révolutionnaire de 1813 prépare son explosion.

M. de Stein, assure M. Pertz, n’a jamais fait partie du Tugendbund, il ne l’a jamais autorisé ; c’est à l’insu de son ministre que le roi aurait approuvé les règlemens de l’association. L’opinion commune, que personne n’a démentie jusqu’à ce jour, est contraire aux assertions de M. Pertz. En Allemagne M. le docteur Schlosser, M. Armand Lefebvre en France[1], ont regardé le Tugendbund comme une des œuvres de M. de Stein. Que le ministre n’ait pas eu l’idée première de cette franc-maçonnerie germanique, qu’il n’ait pas donné à ses statuts une approbation officielle et directe, qu’il n’ait jamais été inscrit sur ses listes, rien de plus facile à admettre ; mais comment croire qu’il n’ait pas vu avec joie une association dont la pensée était si conforme à la sienne ? Comment supposer qu’il lui ait refusé son appui ? Pendant une année entière, depuis le mois d’octobre 1807 jusqu’au mois de novembre 1808, M. de Stein gouverne la Prusse ; il la gouverne pour la préparer à la guerre ; il écrit mémoires sur mémoires afin d’établir la nécessité d’une grande insurrection de l’Allemagne entière ; il exprime avec une franchise audacieuse ce que les affiliés du Tugendbund répètent tout bas dans leurs conciliabules ; il le dit au roi, aux ministres, aux généraux, aux chefs de l’association. L’exemple des Espagnols l’excite ; il imagine des plans, il calcule ses ressources et range ses hommes en bataille. La première de toutes ces ressources, celle qu’il invoque sans cesse avec un incomparable enthousiasme, c’est la colère des peuples allemands. Un chef du Tugendbund eût-il tenu un autre langage? Plus tard, après la chute de l’empire, quand le Tugendbund fut devenu un embarras pour les souverains de l’Allemagne, quand l’élément

  1. Voyez le remarquable travail de M. Armand Lefebvre sur Frédéric-Guillaume III, Revue des Deux Mondes, 1er août 1840.