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Tandis qu’il travaillait ainsi en silence, le tsar voulut l’arracher à sa retraite et lui confier en Russie les plus hautes fonctions politiques. Stein était prêt à accepter, lorsque des événemens inattendus s’opposèrent à son départ. Les conférences de Tilsitt avaient associé Alexandre aux desseins de Napoléon ; les deux empereurs étaient d’accord pour se partager la domination de l’Europe et assurer la paix générale. Le traité de Tilsitt fut un nouveau coup, une nouvelle humiliation pour la Prusse. Le roi, dans sa détresse, oublia ses rancunes, et, pressé par la reine Louise, pressé par les princes et les généraux de la cour, il se décida à rappeler le baron de Stein. M. de Hardenberg avait été nommé ministre des affaires étrangères au commencement de 1807 ; plus modéré sans doute que le baron de Stein, il avait été cependant bien plus en vue comme adversaire de Napoléon ; il avait le premier combattu et fait échouer les projets de la France vis-à-vis de la Prusse ; c’était à lui enfin, à lui seul que Napoléon attribuait la ruine de cette politique à laquelle il attachait tant de prix, et sa colère était devenue de la haine. En signant le traité de Tilsitt, le vainqueur exigea de la Prusse que M. de Hardenberg quittât le ministère. Notre ambassadeur à Berlin, M. de La Forêt, si bien informé de l’esprit de cette cour et de toutes les passions qui l’agitaient, ne semble pas avoir apprécié exactement l’influence du baron de Stein. Peut-être ne voyait-il en lui qu’une nature impétueuse, mais maladroite, dont une diplomatie habile aurait facilement raison. Il n’en demeure pas moins étrange que la rentrée de M. de Stein aux affaires et sa nomination au poste le plus important de la politique aient été conseillées à Frédéric-Guillaume par Napoléon. « Vous exigez absolument que je me sépare de M. de Hardenberg, lui faisait dire le roi de Prusse ; il faudra donc que je m’adresse pour le remplacer au comte de Schulenbourg-Kehnert ou au baron de Stein. » Il espérait que cette alternative donnerait à réfléchir, et qu’à tout prendre la modération de M. de Hardenberg plairait mieux à l’empereur que l’impétuosité de M. de Stein. — Prenez le baron de Stein, répondit simplement l’empereur, c’est un homme d’esprit.

C’est au mois de septembre 1807 que le baron de Stein, malade depuis plusieurs mois, put se mettre en route pour Memel. Il avait parcouru la plus grande partie de la Prusse ; il était resté quelques jours à Berlin, et partout il avait vu les désastres de la guerre, les champs dévastés ou incultes, l’agriculture anéantie, le commerce devenu impossible, les autorités françaises maîtresses de tous les pouvoirs. Lorsqu’il arriva à Memel le 30 septembre, il trouva le roi profondément découragé. Frédéric-Guillaume se croyait poursuivi par une destinée impitoyable ; toutes ses entreprises, pensait-il, étaient condamnées d’avance, et, pour sauver le pays d’une ruine imminente, il était résolu à abdiquer. Quant à la reine, si elle était en proie à l’affliction la plus