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que la défaite n’abattit pas leur courage : le prince Louis-Ferdinand était mort en héros ; le prince Hohenlohe avait fait des prodiges de valeur à Iéna ; le général Rüchel, arrivé le dernier sur le champ de bataille et cerné de tous côtés par nos armes victorieuses, avait cherché inutilement la mort dans une attaque désespérée ; il reçut une balle en pleine poitrine, et, emporté dans les bras de ses soldats, il survécut à ses blessures. Le baron de Stein ne se laissa pas décourager non plus ; il vit, et cette fois il voyait juste, que la Prusse ne pouvait plus compter sur l’amitié de Napoléon, et qu’il fallait à tout prix éviter de s’aliéner les deux dernières ressources de la monarchie vaincue, la Russie et l’Angleterre. Livrer Dantzig, Varsovie et Breslau, c’était amener immédiatement Napoléon sur les frontières de la Russie, sans laisser le temps au tsar de réunir ses troupes. Stein le comprit et s’opposa de toutes ses forces à un armistice conclu sur ces bases. Le roi se rendit aux raisons du fougueux ministre ; il résolut de supporter courageusement son infortune et de s’unir pour jamais à ces cabinets de Saint-Pétersbourg et de Londres, dont il avait tour à tour voulu et déserté l’alliance. « Que ferez-vous, disait le roi au baron de Stein, si je suis contraint de passer en Russie ? — Sire, répondit le ministre, mon devoir est de suivre votre majesté partout où le sort la conduira. » Il ne voyait pas sans une joie amère, au milieu de tant de désastres, la Prusse arrachée pour long-temps à l’alliance française et liée aux deux puissances de qui il attendait, au fond de son cœur ulcéré, la vengeance et les représailles de l’Allemagne.


II.

L’heure est venue où l’homme qui a déjà, soit comme fonctionnaire spécial, soit comme ministre de Frédéric-Guillaume III, tenu une si grande place dans les affaires de son pays, va enfin être appelé au seul poste qu’ambitionnait son impérieuse ardeur, à celui de ministre dirigeant. Une période nouvelle s’ouvre dans la vie du baron de Stein ; ce n’est pas du reste sans des difficultés bien graves encore et sans des luttes bien singulières que M. de Stein va être chargé des affaires générales de la Prusse. Cette place, il hésitera à la prendre, il l’abandonnera ensuite, il la reprendra plus tard sur les instances des plus hauts personnages, il la perdra enfin sur un ordre de Napoléon ; mais à ce dernier moment sa puissance ne décroîtra pas : retiré en Russie, il continuera d’agiter l’Europe, et on peut dire que, depuis la bataille d’Iéna jusqu’à la bataille de Waterloo, de 1806 à 1815, ce n’est plus comme simple ministre ni comme chef d’opposition, c’est comme directeur et organisateur d’un grand parti européen que M. de Stein se présente à nous.