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l’esprit moderne une base invincible par l’étroite union de la Prusse de Frédéric et de la France de 89? Où était l’homme assez fort pour sauver la Prusse, pour l’associer aux desseins de l’empereur et assurer la paix de l’Europe? Aux yeux de M. Pertz, c’est toujours le baron de Stein qui est le béros de la situation; en réalité, ce héros n’est nulle part à Berlin; il ne se trouve ni dans le tumultueux parti des patriotes ni dans les conseils irrésolus des diplomates.

Personne n’ignore les événemens qui suivirent l’établissement de la confédération du Rhin, la dissolution de l’empire germanique, enfin les négociations avec l’Angleterre qui amenèrent incidemment la rupture définitive de la Prusse et de la France. Par le traité du 15 février 1806, débattu à Paris avec le comte d’Haugwitz, Napoléon avait forcé la Prusse à choisir entre la guerre et l’acceptation du Hanovre. Il voulait, par ce don fatal, l’engager d’une façon irrévocable, la compromettre avec l’Angleterre et la Russie et se l’attacher en l’humiliant. Il la compromettait avec l’Angleterre en lui faisant occuper une partie du territoire anglais; il la compromettait avec la Russie en lui faisant renier à quelques mois de distance le traité conclu avec le tsar dans les caveaux de Potsdam, sur la tombe du grand Frédéric. Le traité de Paris est du 15 février 1806; au mois de juillet de la même année, Napoléon, sans consulter la Prusse, proposait à l’Angleterre la restitution du Hanovre. On le sut bientôt, quand les négociations furent rompues; le cabinet britannique ne se fit pas faute de le publier assez haut, et cette dernière humiliation infligée à la Prusse décida Frédéric- Guillaume à la guerre. Jamais faute plus grave ne fut commise, mais il était impossible de résister plus long-temps aux fureurs nationales. Le mémoire de M. de Stein avait pu révéler au roi Guillaume quelle était, dès le mois d’avril 1806, l’exaspération des esprits; un ministre du roi, un grand seigneur imbu de tous les préjugés aristocratiques, y parlait de ses collègues et de ses chefs comme l’eût fait un orateur de club : jugez quelle explosion dut provoquer trois mois après la nouvelle des offres proposées à l’Angleterre! Toute la Prusse fut entraînée. La reine, les princes Henri et Guillaume, frères du roi, le prince Louis-Ferdinand, le prince d’Orange, les généraux Rüchel et Blücher, des hommes même d’un caractère plus modéré, Jean de Müller par exemple, n’étaient pas satisfaits de l’annonce et des préparatifs de la guerre; ils craignaient les perpétuelles incertitudes du roi et voulaient l’arracher aux influences de son conseil. Le 2 septembre 1806, les princes et les généraux que je viens de nommer firent remettre à Frédéric-Guillaume un nouveau mémoire qui reproduisait en termes plus convenables, mais avec une vivacité croissante, toutes les idées exprimées au mois d’avril dans le violent factum du baron de Stein. Le comte d’Haugwitz, les conseillers Beyme et Lombard y étaient signalés comme les plus dangereux