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durable de son œuvre. On peut se donner ici le spectacle de l’irrésistible pouvoir des idées. Il est curieux de voir comme la révolution de 89 a dompté ses plus violons adversaires et les a obligés de proclamer ses doctrines. Quelle était l’inspiration fondamentale du baron de Stein? La haine de la révolution et de la France. Eh bien! voilà le fils des barons féodaux qui, pour relever son pays, va demander aux nouveaux principes la force dont il a besoin; infidèle aux préjugés de sa naissance, le partisan du passé est devenu un des soldats de l’avenir. Le détail des réformes financières et commerciales dues à l’énergique initiative du ministre prussien est longuement exposé par M. Pertz; l’esprit moderne est là, esprit de justice, d’équité, et le droit commun succède à la stérile et mensongère liberté, à la liberté privilégiée du moyen-âge. Ces mêmes réformes qu’il applique ici à une administration particulière, il les introduira, cinq ans plus tard, dans la politique générale du royaume. Plus il s’initiera aux secrets des affaires publiques, plus il se rapprochera de cette révolution française qui lui avait apparu d’abord comme un triomphe de l’esprit du mal sur des droits consacrés par Dieu. La faiblesse de l’Allemagne l’instruira; pour régénérer ce pays, un seul moyen est efficace, la réforme de l’administration et des lois d’après les principes de la justice éternelle. Le droit historique, sans qu’il se l’avoue lui-même, perdra sans cesse de sa valeur aux yeux de l’impétueux ministre. Plus d’une fois, assurément, il essaiera de se rejeter en arrière, il tâchera de mettre d’accord les innovations que lui dicte son patriotisme et les anciennes institutions féodales que regrette sa pensée hautaine; mais cette confusion de sentimens n’éclatera guère qu’après la victoire : pendant toute la durée de la lutte, le baron de Stein, en dépit de l’influence contraire de son éducation et de ses préjugés, représente, comme les hommes mêmes qu’il combat, les changemens accomplis dans le monde depuis 89.

On sait comment la quatrième coalition interrompit ces pacifiques travaux. Les intrigues de l’Angleterre ne permirent pas au faible et irrésolu Frédéric-Guillaume III d’embrasser la politique de Napoléon. La duplicité des négociations si justement reprochées à la Prusse recouvrait surtout les embarras de l’inintelligence et de la faiblesse. Pour s’associer aux hardis projets de l’empereur, pour s’allier avec la France et assurer la paix européenne en opposant un rempart à l’Autriche et à la Russie, Frédéric-Guillaume III avait besoin de posséder doublement les facultés qu’il n’avait pas. Des intrigues sans nombre l’entouraient : ici, il était retenu par les menaces de l’Angleterre ou les caresses du tsar; là, il avait affaire aux passions nationales qui commençaient à s’enflammer de plus en plus, soutenues par des hommes comme le baron de Stein et revêtues d’une singulière poésie par les paroles ardentes et les démarches romanesques de la belle reine Louise.