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tous les soirs je dis un Ave Maria pour vous. J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« Constant. »


Beaumarchais répond sur-le-champ à la mère et à l’enfant deux lettres où se montre tout ce qu’il y a en lui de sensibilité, de délicatesse et de bonhomie. Voici d’abord sa lettre à Mme Le Normand :


« Je vous remercie bien sincèrement, madame, de m’avoir fait parvenir la lettre et la bourse de mon petit ami Constant. Ce sont les premiers élans de la sensibilité d’une jeune ame qui promet d’excellentes choses. Ne lui rendez pas sa propre bourse, afin qu’il ne puisse pas en conclure que tout sacrifice porte cette espèce de récompense ; il lui sera bien doux un jour de la voir en vos mains comme une attestation de la tendre honnêteté de son cœur généreux. Dédommagez-le d’une façon qui lui donne une idée juste de son action sans qu’il puisse s’enorgueillir de l’avoir faite ; mais je ne sais ce que je dis, moi, de joindre mes observations à des soins capables d’avoir fait germer et développer une aussi grande qualité que la bienfaisance dans l’âge où il n’y a d’autre moralité que de tout rapporter à soi. Recevez mes remerciemens et mes complimens. Permettez que M. l’abbé Leroux[1] les partage ; il ne se contente pas d’apprendre à ses élèves à décliner le mot vertu, il leur en inculque l’amour ; c’est un homme plein de mérite et plus propre qu’aucun autre à bien seconder vos vues. Cette lettre et cette bourse m’ont causé une joie d’enfant à moi-même. Heureux parens ! vous avez un fils capable à six ans de cette action. Et moi aussi j’avais un fils, je ne l’ai plus ! et le vôtre vous donne déjà de tels plaisirs ! Je les partage de tout mon cœur, et je vous prie de continuer à aimer un peu celui qui est la cause de cette charmante saillie de notre petit Constant. On ne peut rien ajouter au respectueux attachement de celui qui s’honore d’être, madame, etc. »

« Du For-l’Évêque, 4 mars 1773. »


Voici maintenant la réponse au petit Constant :


« Mon petit ami Constant, j’ai reçu avec bien de la reconnaissance votre lettre et la bourse que vous y avez jointe ; j’ai fait le juste partage de ce qu’elles contiennent selon les besoins différens des prisonniers mes confrères, et de moi, gardant pour votre ami Beaumarchais la meilleure part, je veux dire les prières, les Ave Maria dont certes j’ai grand besoin, et distribuant à de pauvres gens qui souffrent tout l’argent que renfermait votre bourse. Ainsi, ne voulant obliger qu’un seul homme, vous avez acquis la reconnaissance de plusieurs ; c’est le fruit ordinaire des bonnes actions comme la vôtre.

« Bonjour, mon petit ami Constant.

« Beaumarchais. »


Tel est l’homme que le comte de La Blache appelait charitablement un monstre achevé, une espèce venimeuse dont on doit purger la société,

  1. C’était le précepteur du petit Constant.