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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

jours pour me forcer à vous reprendre, je remets à une conversation particulière à vous faire bien comprendre tout ce que vous lui devez d’amour et de prévenance. Voici maintenant les conditions de votre rentrée :

« 1o Vous ne ferez, ne vendrez, ne ferez rien faire ni vendre, directement ou indirectement, qui ne soit pour mon compte, et vous ne succomberez plus à la tentation de vous approprier chez moi rien, absolument rien au delà de ce que je vous donne, vous ne recevrez aucune montre de rhabillage ou autres ouvrages, sous quelque prétexte et pour quelque ami que ce soit, sans m’en avertir, vous n’y toucherez jamais sans ma permission expresse, vous ne vendrez pas même une vieille clé de montre sans m’en rendre compte.

« 2o Vous vous lèverez dans l’été à six heures, et dans l’hiver à sept ; vous travaillerez jusqu’au souper sans répugnance à tout ce que je vous donnerai à faire, j’entends que vous n’employez les talens que Dieu vous a donnés qu’à devenir célèbre dans votre profession. Souvenez-vous qu’il est honteux et déshonorant pour vous d’y ramper, et que si vous ne devenez pas le premier, vous ne méritez aucune considération ; l’amour d’une si belle profession doit vous pénétrer le cœur et occuper uniquement votre esprit.

« 3o Vous ne souperez plus en ville, ni ne sortirez plus les soirs, les soupers et les sorties vous sont trop dangereux ; mais je consens que vous alliez dîner chez vos amis les dimanches et festes, à condition que je saurai toujours chez qui vous irez, et que vous serez toujours rentré absolument avant neuf heures. Dès à présent, je vous exhorte même à ne me jamais demander de permission contraire à cet article, et je ne vous conseillerais pas de la prendre de vous-même.

« 4o Vous abandonnerez totalement votre malheureuse musique, et surtout la fréquentation des jeunes gens, je n’en souffrirai aucun. L’un et l’autre vous ont perdu. Cependant, par égard à votre faiblesse, je vous permets la viole et la flûte, mais à condition expresse que vous n’en userez jamais que les après-soupers des jours ouvrables, et nullement dans la journée, et que ce sera sans interrompre le repos des voisins ni le mien.

« 5o Je vous éviterai le plus qu’il me sera possible les sorties, mais, le cas arrivant où j’y serais obligé pour mes affaires, souvenez-vous bien surtout que je ne recevrai plus de mauvaises excuses sur les retards, vous savez d’avance combien cet article me révolte.

« 6o Je vous donnerai ma table et 18 livres par mois qui serviront à votre entretien et pour acquitter petit à petit vos dettes. Il serait trop dangereux à votre caractère et très indécent à moi que je vous fisse payer pension, et que je comptasse avec vous des prix d’ouvrages. Si vous vous livrez comme vous le devez au plus grand bien de mes affaires, et que par vos talens vous en procuriez quelques-unes, je vous donnerai le quart du bénéfice de tout ce qui viendra par votre canal ; vous connaissez ma façon de penser, vous avez l’expérience que je ne me laisse pas vaincre en générosité ; méritez donc que je vous fasse plus de bien que je ne vous en promets, mais souvenez-vous que je ne donnerai rien aux paroles, je ne connais plus que les actions.

« Si mes conditions vous conviennent, si vous vous sentez assez fort pour les exécuter de bonne foi, acceptez-les, et signez en votre acceptation au bas de cette lettre que vous me renverrez ; et, dans ce cas, assurez M. Paignon