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et l’enfant. Je parle de Mlle Ménard et de sa petite que j’avais conduites à ce monastère jeudi soir, selon ce que j’ai eu l’honneur de vous informer samedi dernier. Il m’a été impossible de réussir ; il n’y avait absolument aucune place, et certes qu’à votre recommandation, et vu la bonne volonté de Mme la prieure pour cette demoiselle, on l’y aurait bien reçue, s’il y avait eu lieu. À ce défaut, je suis retourné aux Cordelières de la rue de l’Oursine, faubourg Saint-Marceau, et, après bien des questions qu’il m’a fallu éluder et essuyer, on m’envoya, relativement à ma demande, hier, dimanche matin, une lettre d’acceptation, en conséquence de laquelle j’ai, cejourd’hui, vers onze heures du matin, conduit Mlle Ménard audit couvent des Cordelières. Oserai-je vous l’avouer, monseigneur ? Innocemment compromis dans cette catastrophe qui peut avoir bien de fâcheuses suites, et entendant parler plus que je ne voudrais des violentes résolutions de celui que fuit Mlle Ménard, je crains beaucoup pour moi-même que mon trop de bon cœur ne m’attire à ce sujet de bien disgracieux reproches. Une seule chose pourrait me rassurer, ce serait de savoir qu’il fût possible d’empêcher M. le duc de Ch… ou M. de B… et ses agens, ou leurs agens, car ils en ont, d’aborder cet asile, du moins pour quelque temps, car, vu les difficultés qu’on m’a faites d’accepter cette demoiselle, que le désir de m’en voir quitte m’a fait nommer ma parente et annoncer exempte d’allure, me réclamant moi-même de gens en place dans mon état, que dira-t-on, si, par la violence ou l’imprudence même de l’un ou l’autre de ces intéressés, ces religieuses voient que c’est une maîtresse entretenue que je leur ai procurée ?… Tandis que si ces téméraires rivaux pouvaient la laisser tranquille, ce repos, joint à la douceur de la figure et plus encore du caractère de cette affligée recluse, faisant tout en sa faveur dans cette maison d’ordre, m’empêcherait d’y passer non-seulement pour menteur, mais même pour l’auteur d’une conduite irrégulière. J’ai laissé ces dames très bien disposées pour leur nouvelle pensionnaire ; mais, je le répète, quelle disgrâce pour elle et pour moi, qui me suis si fort avancé, si la jalousie ou l’amour, également hors de place, allaient jusqu’à son parloir faire exhaler leurs transports scandaleux ou leurs soupirs mésédifians[1] !

« Mlle Ménard m’avait chargé de vous faire quelques autres détails relatifs à elle ; une lettre ne peut les contenir ; cette présente n’est déjà que trop importune. Si ce qui la concerne dans les occurrences présentes vous intéresse assez pour m’autoriser derechef à vous parler d’elle, daignez, dans ce cas, m’assigner le moment d’y satisfaire. En obéissant à vos ordres, je répondrai à la singulière confiance qu’elle a prise en moi. Puissent mes faibles services, sans que je sois compromis, adoucir ses peines ! Je suis avec respect, monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« Dugué l’aîné,
« prêtre, cloître Notre-Dame. »


Cette affligée recluse, comme dit le bon abbé Dugué, n’était point faite pour la vie de couvent ; elle avait à peine goûté ce genre d’exis-

  1. N’est-ce pas un très digne homme, cet abbé Dugué, avec ses soupirs mésédifians ? M. de Sartines et Beaumarchais, tous deux beaucoup moins ingénus, ont dû sourire un peu en lisant ce passage.